Funny Games U.S. est un drôle d’énergumène. Un remake aux particularités bien distinctes, et qui derrière sa violence insoutenable, cache des velléités paradoxales.


Un remake plan par plan


Les remakes au cinéma sont devenus monnaie courante, et leur existence se base soit sur un motif financier soit artistique. Réhabiliter une ancienne franchise, surfer sur un film ayant marqué toute une génération, se réapproprier une œuvre dont la portée pourrait faire écho à notre modernité, remettre au gout du jour un récit intemporel, faire du cash sur le dos d’une marque évidente et populaire… Toutes les raisons sont bonnes ou mauvaises pour faire du remake le vilain petit canard de la grande famille du cinéma lorsqu’on se met à idéaliser le processus créatif. Surtout que le remake n’a pas forcément bonne presse, à cause de la peur qui consisterait à voir l’identité et la personnalité de l’original disparaître dans une production lisse, moralisatrice et calibrée. Mais ce serait réducteur de caractériser le remake uniquement du mauvais côté de la barrière car les exemples de bons remakes sont heureusement plus nombreux qu’on pourrait le croire.


Funny Games U.S., quant à lui, sort de la masse. Il est l’élève un peu perturbateur de la classe. Le premier de la classe, qui met un classeur entre lui et son camarade de bureau, pour ne pas être copié. Il croit dur comme fer en ce qu’il dit, et serait prêt à tout pour voir la lumière des projecteurs se braquer sur lui. Quitte à se répéter une deuxième fois pour asseoir son autorité et sa crédibilité. Mot pour mot… Plan par plan… Pour le meilleur et pour le pire… Non content de voir sa première version de Funny Games faire un flop aux yeux de la jeunesse américaine, qu’il considère comme assoiffée de sang et imbibée de violence, le « professeur » autrichien, Michael Haneke, ne baisse pas les bras et remet le couvert avec ce remake, presque identique à l’original de 1997, du même nom, Funny Games. Un même réalisateur, faisant un remake de l’un de ses propres films, plan pour plan, c’est assez rare pour le souligner.


Dans un coin de bord de mer, une famille va vivre l’enfer, sous le joug de la perversité maligne et mystérieuse de deux adolescents. Pour ce faire, alors que le décor sera le même, le réalisateur changera tout son casting et s’acoquinera de Naomi Watts, Tim Roth (acteur de Reservoir Dogs ou Pulp Fiction (sic)…) et surtout de Michael Pitt, véritable vicieux au visage d’ange et au sourire narquois déstabilisant. Tout de blanc vêtus, écartant tout symbolisme d’appartenance sociale, les deux jeunes hommes de Funny Games U.S., avec leur chevelure blonde, leur politesse épuisante de manipulation, leur assurance maladive, leur phrasé condescendant à la logique illogique (un cassage de jambe à coup de club de golf équivaut à une gifle), embourbent l’esprit de leurs interlocuteurs jouant le jeu du question/réponse sans véritables questions et sans véritables finalités.


Leur but est inconnu, ils s’amusent de la turpitude de l’autre, symbole d’une vision presque nihiliste des relations humaines. Et comme dans l’original, la tension va monter crescendo et l’home invasion va devenir presque insoutenable pour le spectateur, impuissant devant l’agissement des deux agresseurs et mis K.O. lors du twist aux deux tiers des films.


Un remake comme leçon de morale


La raison de la naissance de ce nouveau long métrage n’est pas commerciale – pas uniquement on va dire – mais elle se situe surtout dans la philosophie que Haneke entretient vis-à-vis de son art, et dans son intérêt presque pédagogique en ce qu’il raconte. Il voulait avant tout toucher le public américain, qu’il jugeait être l’épicentre. Et quand on voit les débats d’aujourd’hui autour de la réception de Parasite aux USA et des films étrangers avec des sous-titres, il est plausible que Haneke visait juste à l’époque en voulant américaniser son œuvre pour la rendre plus audible.


Le réalisateur a une relation toute particulière avec la violence sanglante montrée au cinéma. Le cinéaste perd un peu son latin devant la perte du symbolisme de cette dite violence, de sa « déréalisation », et d’une banalisation rigolarde devant un acte meurtrier : ce qui le pousse à rejeter par exemple le cinéma de Woo et de Tarantino. Là où ces deux derniers aiment esthétiser la violence, et en faire un divertissement, il ne cesse de se questionner sur la nature récréative de cette représentation, et de notre rapport en tant que spectateur à notre désensibilisation à la mort en tant que telle.


Avec son diptyque Funny Games, Haneke nous gratifie d’une œuvre sombre, dérangeante au possible qui coince le spectateur sur son propre siège, nous faisant témoin des pires démons de l’être humain. Pour Haneke la violence n’a rien d’amusant et n’a pas sa place dans une quelconque chorégraphie cinématographique. C’est un geste froid, profondément austère, naturaliste, à l’image de la plupart de ses films où il se targue de montrer l’insoutenable avec le plus grand des détachements (La Pianiste…).


L’intelligence de la facétie des dialogues, cette impression de temps réel, le découpage parfait de ses longs plans-séquences captant la souffrance psychique et physique avec talent, la soudaineté d’une haine pulsionnelle font de Funny Games U.S., un huis clos pervers, où l’on se sent impuissant (complice ?) du calvaire vécu par une famille lambda. Sa position moralisatrice se dessine dans un cynisme paternel à l’état brut, dévoilant presque un plaisir malsain à montrer deux jeunes hommes candides rembobiner le seul espoir apparent du film et à nous faire passer par tous les états. Haneke prend la place des agresseurs pendant qu’on ressent la déchéance des victimes, et nous interroge sur notre plaisir morbide à ressentir de la satisfaction lors de séance de ce type de films.


Un remake comme autoparodie ?


Pris stricto sensu, Funny Games U.S., derrière son reflet siamois, est une œuvre qui brille par son motif viscéral et ne perd en aucun cas la puissance de l’original. En ce sens, pour ceux qui n’auraient pas vu l’original, cette version américanisée garde ce sentiment de souffre et de violence gratuite, qui fait de la « franchise » Funny Games un étalon du genre. Pourtant, pendant que Funny Games premier du nom nous questionnait donc sur le visage de la violence au cinéma, Funny Games U.S. déplace quant lui la problématique vers un tout autre aspect : son cinéaste et la réussite de son entreprise. Les chiffres montrent que le public américain n’a pas non plus été très friand de cette version à l’identique, ce qui n’est pas étonnant vu l’austérité et le manque de moral de ce cinéma loin des carcans de la globalité du cinéma local.


Malgré la méticulosité et la force d’interprétation de Funny Games U.S., apercevoir un cinéaste s’évertuer à répéter son discours sans en changer un seul mot, et l’observer s’auto-persuader de la puissance de son premier jet, sans se remettre en question ni acclimater son récit au public visé, cela démontre l’erreur et la complaisance même du projet en question, qui malheureusement au lieu de devenir le grand cas d’étude sociologique que voulait son réalisateur, n’est pas moins qu’une énième possibilité pour certains ou certaines de se foutre les pétoches devant une œuvre de « niche ». Funny Games U.S. devient donc tout ce que ne voulait pas Michael Haneke : un divertissement horrifique de luxe. Sur la forme, cette version américaine est un petit bijou sadique, brillant et ricaneur qui mettra même à rude épreuve les plus vaillants d’entre nous, mais qui sur le fond, dévoile une vanité parodique et l’étroitesse d’esprit d’un projet « incompris » et à la ligne d’horizon bien fine pour être visible.


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Velvetman
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le 16 déc. 2014

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