Funny Man
4.8
Funny Man

Film de Simon Sprackling (1994)

Le film d'horreur britannique est un genre plutôt en vogue depuis le début du nouveau millénaire, avec des films tels que 28 Jours plus tard et sa suite, Eden Lake ou encore les productions de Neil Marshall. Mais la Grande-Bretagne est également depuis toujours une terre de comédie cynique et corrosive, c’est ainsi que l’on a vu fleurir un bon nombre de films alliant l’humour british au film d’horreur, notamment depuis le succès retentissant du Shaun of the Dead d’Edgar Wright en 2004, qui a réussi le tour de force de faire sauter une bonne partie des habituelles conventions accrochées aux parodies de film d’horreur, en conquérant le public et la critique avec un mélange savoureux de violence ostensible et d’absurdité, grâce à un ton comique particulièrement rafraîchissant. Sans être spécifiquement anglais, ce sous-genre a inspiré divers sujets de la Couronne, et ce, bien avant le nouveau millénaire. C’est notamment le cas du film dont nous allons parler maintenant.


Écrit et réalisé par Simon Sprackling en 1994, Funny Man fait figure d’OVNI dans le contexte cinématographique de l’époque, notamment en empruntant une bonne partie de ses comédiens à des productions télévisuelles, citons notamment Tim James, Benny Young ou encore Matthew Devitt. La tête d’affiche du film est incarnée par Christopher Lee, qui porte réellement l’ensemble du métrage sur ses épaules, puisqu’il s’agit du seul visage connu du grand public, casting et équipe technique confondus. Malheureusement, même la présence du géant londonien n’aura pas suffi à empêcher ce film de tomber dans l’oubli, dommage pour une œuvre qui présente tout de même des qualités indéniables, que sa récente ressortie en DVD permet aujourd’hui de découvrir en long et en large.


Avant de développer, faisons un petit tour du côté du synopsis:


Max Taylor (Benny Young), producteur d'une maison de disques, gagne, lors d’une partie de poker, la maison ancestrale d’un certain Callum Chance (Christopher Lee), il ne réalise pas encore que le jeu est loin d'être terminé... Un par un, les membres de la famille de Max sont assassinés par le mystérieux Funny Man (Tim James), un bouffon démoniaque qui tue à l'aide de techniques imaginatives et variées, doublées d'un sens de l'humour certain. Les choses sérieuses commencent lorsque le frère de Max débarque dans sa nouvelle maison avec un groupe d'auto-stoppeurs...


En premier lieu, Funny Man est clairement un film inspiré de la mouvance des comédies horrifiques américaines qui ont fait les beaux jours de nombreux vidéo-clubs pendant les années 80. Drôle plutôt qu'effrayant, ce type de film offre au spectateur la possibilité de suivre les aventures de personnages souvent stéréotypés, confrontés à une figure horrible aussi perverse que grotesque. Il s’agit clairement d’un film qui, pris au second degré, parodie les exactions sanglantes de Freddy Krueger, Jason Voorhees ou Michael Myers en empruntant une exagération naturellement agréable à l'esthétique grand-guignole classique. Selon ce principe, les visages austères ou révulsifs des monstres classiques subissent un "lifting" pour montrer des couleurs chatoyantes et affirmer leur caractère diabolique par un sourire hideux. Le caractère plutôt ambigu du personnage du bouffon, avec son rire provocateur et ses mimiques caractéristiques, renvoient à des croyances ancestrales comme la Fête des Fous ou d’autres traditions paillardes héritées des Saturnales romaines. Il est fort agréable de trouver une implication socio-philosophique aussi forte dans un film de pur divertissement, avec une attention toute particulière portée aux traditions du carnaval occidental. Par ailleurs, l'usage excessif de lumières bleues, rouges, vertes et l'architecture très kitsch du château aide à caractériser un monde de "carton-pâte" naturellement propice à l'émergence d’un Joker. Associé à une forme d’humour purement british, ce personnage participe grandement à l’élaboration d'une œuvre munie d'une métaphore sociologique intéressante.


En lisant un peu entre les lignes, on s’aperçoit que Funny Man incarne la politisation d’une forme de christianisme oublié, en s'inspirant du processus de faire du Joker l'allégorie d'un concours politique. Le réalisateur aborde ici les différents croisements d'une société de consommation représentée par un manoir labyrinthique. Chaque entrée dans le lieu déclenche une annonce de supermarché. De nombreux accessoires présents rappellent par ailleurs ce lieu si familier, comme certains véhicules similaires à des caddies. Sans oublier l’indispensable discothèque où des clients déboursent sans broncher 45 livres pour une seule boisson...


Parallèlement à cette première parabole, une métaphore philosophique non négligeable émerge. En effet, le Funny Man incarne ici l'émissaire d'un destin funeste incarné par le toujours très distingué Christopher Lee. En pointant du doigt une certaine forme de déterminisme, Sprackling parvient à tirer son scénario vers des recoins insoupçonnés, un scénario qui insiste d’ailleurs largement sur l’enchaînement inextricable des événements. Ainsi, une partie de cartes à priori anodine conduit notre héros tout droit à sa perte. La symbolique du jeu de hasard contribue fortement à cet état de fait, avec notamment l’omniprésence du motif des cartes à jouer qui illustre l’enjeu majeur de cette problématique. Le réalisateur n’hésite pas à emprunter quelques formules bien senties en affiliant l’intrigue aux grandes tragédies grecques, la partie de poker ouvrant le film exploite d’ailleurs avec subtilité le procédé de "l’ironie dramatique".


Le script du film laisse une importance toute particulière au dialogue, certaines affirmations à priori anodines préfigurent la suite de l’histoire afin d’en signaler le caractère inéluctable. Ainsi, lorsque Callum Chance se fait traiter de "white clown" lors de la partie de cartes, sa réplique, aussi inattendue que cinglante ne se fait pas attendre "You are a Funny Man". L’ambiguïté du langage offre une grille de lecture à plusieurs niveaux chargée de signaler le décalage entre ce qu’éprouvent et pensent les personnages et leur réelle position, à savoir celle de pantins à la merci de leur destin. Tout en tissant quelques pistes de réflexion sur l’importance et la fonction de l’intertexte au sein du genre fantastique.


Nourri par divers codes dont il est difficile de s’éloigner, le genre de l’épouvante cinématographique donne aux différents niveaux de lecture un rôle primordial. Le réalisateur manipule ses protagonistes afin de les placer dans des situations connues, voire attendues, par le public. En effet, le spectateur sait pertinemment à l’avance que les personnages présentés au début du métrage subiront l’assaut d’un ennemi implacable. Afin de subvertir les attentes, Sprackling survalorise l’assise référentielle de l’œuvre en multipliant les parodies. Excessivement caractérisés, les héros représentent chacun une forme de cliché du genre horrifique. Allant du producteur dépravé à la femme nymphomane, en passant par l’enfant malin, le macho ou encore l’intellectuelle. Tous ces personnages rappellent évidemment bon nombre de leurs prédécesseurs, dont le célèbre Scooby-Gang. Parallèlement, Funny Man développe également une forme d’hommage à différents genres en titillant la mémoire du cinéphile, le Western avec son lot de face à faces, le conte de fées à travers l’aspect des décors, le film noir de par son climat général, voir même le drame sentimental au travers des thèmes de la trahison et de l’adultère; Dans les grandes lignes, un film qui n’hésite pas à tester la culture de son spectateur à travers de nombreuses références qu’il serait malvenu de vous dévoiler ici.


En somme, Simon Sprackling livre ici une œuvre sombre toutefois parsemée de nombreux personnages colorés tout droit sortis des années 80, un mélange des genres délirant et foisonnant disposant d’une imagerie inventive et fleurissante, partant dans tous les sens pendant 90 minutes de pure folie. Et même si les scènes de tuerie ne sont pas spécialement marquantes, consistant souvent en une simple blague et un éclat de gore; Le penchant du réalisateur pour les visuels funky et fantaisistes, l’avalanche de références renvoyant aussi bien aux classiques du cinéma qu’à une certaine forme d’ésotérisme surprenant, ainsi que la prestation fantastique de Tim James en tant que Joker déjanté, suffisent à faire de ce film une œuvre incontournable du cinéma horrifique des années 90.


De manière générale, l’œuvre de Simon Sprackling dépasse son simple statut de comédie horrifique gore pour se livrer à l’exercice difficile de la parodie. Une expérience unique en son genre, que n’importe quel amateur du genre se devrait de voir!

Schwitz
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le 11 févr. 2017

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