On imagine difficilement un film comme Ulzana's Raid pouvoir sortir aujourd'hui sur nos écrans. Dans notre société où le politiquement correct est la règle, on voit mal un film si sulfureux être accueilli à bras ouverts. Il faut dire qu'a sa sortie, au début des années soixante-dix, il faisait déjà scandale et les bien-pensants de l'époque n'ont pas hésité à taxer le film (et/ou le réalisateur) de raciste. C'est pourtant oublier un peu vite que ce film n'est que la version "non édulcorée" de la vision d'un cinéaste qui avait fait preuve, en son temps, de sa toute bonne foi en la matière. Bronco Apache, sorti en 1954, a été l'un des premiers westerns pro-indien. Depuis, le cinéma hollywoodien s'est engouffré dans la brèche, s'employant à nous montrer une vision angélique des "ennemis d'hier", histoire sans doute de se racheter une conscience après des décennies de manichéisme. Seulement, Aldrich sait bien qu'il est stupide de passer d'un extrême à l'autre. Pour respecter la communauté Indienne, il faut déjà les considérer comme des Hommes, et non comme des diables ou des anges. Ulzana's Raid agit ainsi comme un miroir déformant où se reflète toute notre part d'ombre mais également toute notre humanité !


On n'assassine pas à la guerre. On n'assassine pas les animaux. On les tue !


La célèbre formule entendue dans The Big Red One pourrait très bien s'appliquer ici tant Aldrich s'emploie à nous montrer, qu'en temps de guerre, toutes les exactions sont possibles. Car c'est bien de guerre qu'il s'agit entre ces peuples qui convoitent la même terre ! Apaches et cow-boys se livrent à une lutte sans merci pour la suprématie ou la survie de leur culture. L'Autre est un adversaire qu'il faut abattre par tous les moyens, les sentiments n'ont rien à faire là-dedans ! Alors oui, on tue ! Froidement, sauvagement ! Lorsque Ulzana s'échappe, c'est pour continuer la lutte...sa lutte ! Même si celle-ci est perdue d'avance. Il tue méthodiquement, pille, brûle, torture...rien ne semble arrêter sa quête vengeresse. Mais à la cruauté des Apaches répond celle des tuniques bleues, tout aussi implacable ! La guerre n'est jamais "propre" nous dit en substance le cinéaste, dans ce type de conflit, il n'y a ni bon ni méchant, mais uniquement des Hommes avec leur raison propre.


Les raisons de la colère.


Et finalement, ce qui dérange le plus dans Ulzana's Raid, c'est de savoir ce qui pousse un homme au massacre. Car la violence physique, brutale, est finalement peu représentée dans le film, il y a bien quelques petites scènes chocs, des exactions sont commises par les deux camps...mais le malaise s'installe lorsque nous, pauvres spectateurs, nous tentons de comprendre les motivations des deux camps. Et là, Aldrich se montre malin. Car parallèlement à la simple chasse à l'homme entre les tuniques bleues, conduits par le personnage de Lancaster, et la bande à Ulzana, va se tisser une étrange relation entre un jeune Lieutenant fortement naïf et l'éclaireur Apache, Ke-Ni-Tay. Au fur et à mesure que l'intrigue progresse, ces deux personnages secondaires vont avoir une place de plus en plus prépondérante dans l'histoire. Le spectateur se retrouve vite dans une position semblable à celle du jeune Lieutenant : on est, comme lui, convaincu de l'humanité des Indiens et pourtant on est choqué de voir de telles exactions. Avec lui, débute une phase "d'acceptation". Il faut considérer ces Apaches comme ils sont, sans chercher à les idéaliser. Puis, on cherche à comprendre, sans juger. Car Aldrich ne juge pas ses personnages et nous les livre tels qu'ils sont.


"Haïr un Apache, ce serait comme détester le désert parce qu'on n'y trouve pas d'eau"


La phrase prononcée par Lancaster a le mérite de pointer du doigt le cœur du problème : avant de juger les actes de ces Indiens, il faut encore savoir qui ils sont réellement. Mais pour cela, il faut connaître un peu leur culture...or on ne s'embarrasse pas de ce genre de détail ! Pourtant quelques bribes de réponses sont données par Ke-Ni-Tay...Mais elles sont imparfaites ou incomplètes car la culture de l'autre nous est étrangère. Pour la comprendre, il faudrait dialoguer mais en temps de guerre, seuls les fusils ont le droit à la parole.


En déstabilisant ainsi son spectateur, Aldrich prend le risque de se mettre à dos son public et d'être incompris. Pourtant son film est limpide et le message est clair pour celui qui n'a pas peur de se remettre en question. Il est vrai que Ulzana's Raid souffre d'un aspect bien trop inégal pour être comparable aux grands chefs-d’œuvre du genre. Malgré tout, son âpreté et son refus de toute glorification en fond un western rare, intense et troublant, et l'une des pièces maîtresses du cinéaste. Et puis, on ne va pas cacher notre plaisir de retrouver un Burt Lancaster magnifique en vieux roublard qui, comme Aldrich, porte un regard lucide et désabusé sur la condition humaine.

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le 3 mai 2022

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Procol Harum

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