Elle voit passer chaque jour plus de 700 000 voyageurs aussi bien pour la banlieue nord de Paris que les grandes métropoles comme Lille, Bruxelles, Amsterdam ou Londres. Elle voit circuler des milliers de trains, n’est fermée que quelques heures par nuit. Elle, c’est la Gare du Nord et c’est aussi l’unique décor – mis à part quelques brèves exceptions d’ailleurs situées à l’intérieur d’autres trains – du nouveau film de Claire Simon, film en chantier depuis longtemps qui a nécessité des centaines d’heures de tournage qui ont aussi donné lieu à un web doc disponible sur le net (Une topographie émotive).

Celle qui naquit à Londres en 1955, suivit des études d’ethnologie tout en apprenant l’arabe et le berbère, a toujours appuyé son travail sur l’entremêlement entre fiction et réel, en s’efforçant de débusquer la fiction dans n’importe quelle situation banale, instille aujourd’hui des histoires ouvertement fictionnelles (une histoire d’amour, une diplômée d’histoire devenue agent immobilier voyageant entre Paris et Londres en délaissant son mari et ses deux enfants, un célèbre humoriste belge à la recherche de sa fille mineure en fugue) au sein d’un décor tout à fait réel. Si la rencontre amoureuse se noue entre Ismaël, un étudiant en sociologie préparant une thèse sur la gare elle-même (Reda Kateb éblouissant et parfait) et Mathilde, une prof d’histoire (Nicole Garcia assez inégale), c’est probablement parce que la réalisatrice des Bureaux de Dieu n’oublie pas son propre parcours universitaire.

À côté des quatre personnages principaux, existe une quantité de rôles secondaires (en gros ceux qu’Ismaël interroge pour les besoins de son enquête), la plupart africains ou asiatiques, exerçant des petits boulots (serveurs, dame pipi) en dessous de leur niveau d’études et alimentant le réservoir sans fond des sans-grades, des immigrés et des déplacés.

Gare du Nord constitue un inédit objet filmique, attachant et bancal, qui réserve des beaux moments d’émotion, d’autres instants cocasses qui installent une atmosphère fantastique inattendue dans un lieu dédié au transport, pourtant « une place de village global ». La cinéaste sait parfaitement utiliser tous les ressorts scénographiques de l’immense bâtiment haut de cinq étages, strié de dizaines d’escaliers mécaniques, offrant des perspectives et des angles de vue que le format cinéma parvient à idéalement mettre en valeur. Elle réussit pareillement à nous faire connaitre en quelques plans et minutes de minuscules fictions.

Peut-être la fiction, et au premier chef l’histoire d’amour, prend-elle largement le pas sur la dimension documentaire du film qui, du coup, ne prend que partiellement le pouls de l’endroit qui, pour les deux tiers, parait étrangement manquer de vie. Lorsque la gare est soudain immobilisée suite à l’occupation des voies par des manifestants, le film s’agite soudain et fait davantage corps avec son objet, en faisant d’ailleurs passer au second plan la romance qui parait s’étioler.

Au-delà des moments de flottement qui laissent penser que la pâte ne va pas lever ou va retomber aussitôt et des nombreuses ruptures de ton et de rythme, il n’en reste pas moins le parti pris audacieux de s’en tenir au périmètre de la gare, de ne pas faire exister par exemple l’histoire entre Ismaël et Mathilde à l’extérieur. Et il finit curieusement par s’en dégager un parfum tenace de mélancolie, celle qu’on ressent et qui prend aux tripes à savoir des milliers de possibilités en jachère et d’en voir à peu près autant s’évaporer (le thème de la disparition, réelle ou métaphorique, est récurrent, voire primordial, dans le film).
PatrickBraganti
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le 6 sept. 2013

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