Eh bien, il a beaucoup de charme, ce Gaspard de Besse ! J’avais failli passer mon tour, pourtant : je connais très mal le cinéma français des années 30, et le film ne semblait pas avoir emballé grand monde... Je redoutais certains écueils (qui me semblent, peut-être à tort, caractéristiques des défauts de la période) : l’abondance de scènes d’intérieurs dialoguées façon théâtre filmé, la caméra statique, les répliques un peu ternes avec quelques grands sentiments convenus... Tout ce qui fait qu’un film d’aventures historiques couché dans ce lit de Procuste-là ne ressemble plus, alors, qu’à l’ombre de lui-même, à un petit drame poli où l’on évoque en bâillant des grands événements qu’on ne voit jamais et qu’on ne cherche pas non plus à vraiment évoquer...


J’étais loin du compte, et je trouve que le film mérite bien mieux que les notes un peu médiocres qu’il semble récolter ! Au lieu de sempiternels intérieurs, on est bien souvent dehors : on galope, on se planque, on dresse le camp : bref, on respire ! La caméra, quant à elle, s’avance vers les personnages, les surplombe à l’occasion, court avec les chevaux... Rien de spécialement surprenant de ce côté-là, mais elle est en tout cas bien assez mobile pour servir le récit avec entrain.


Et parlons-en, du récit, justement ! Il est bien mené et dépourvu de temps mort . Je n’ai pas lu le roman de Jean Aicard dont il est adapté, et j’ignore à quel point le scénario le suit (je tendrais à penser qu’il est assez fidèle). Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé qu’il avait beaucoup d’allant. Les épisodes relèvent, bien sûr, de types attendus (le crime odieux qui suscitera la vocation du bandit justicier, la ruse pour le délivrer de la prison, les déguisements...) mais ils ne sont jamais exagérément convenus, s’enchaînent rapidement, et semblent interprétés avec un plaisir contagieux. Bon, de toute manière, j’aime beaucoup les histoires de justiciers de grand chemin, de bandits d’honneur, etc, toutes ces histoires dont raffolait le dix-neuvième siècle. Ici, ce genre-là est très bien servi et je ne vois rien, vraiment, à reprendre au scénario. Quelques scènes, comme le procès du Parlement par les bandits, sont même assez fortes, aussi bien sur un plan dramaturgique que par ce qu’elles disent politiquement.


Comme écrit plus haut, j’ai vu très peu de films des années 30, mais j’ai parfois l’impression qu’il y a un véritable attachement à la narration dans cette décennie-là, qui me semble s’atténuer au cours de celle qui va suivre. Les quelques longs-métrages américains des années 30 que j’ai pu voir (au moins ceux datant d’avant l’application du code Hays) m’ont souvent paru faire preuve d’une grande générosité dans leur désir de raconter beaucoup de choses, et de ne surtout pas perdre de temps. J’ai un peu retrouvé ce plaisir de la narration bien pleine avec Gaspard de Besse. (Bon, je suis bien conscient de risquer là une comparaison entre des cinémas, français et américain, qui n’ont probablement que peu de similitudes – je fais simplement part d’un sentiment).


Je note aussi que le récit est servi par des dialogues fréquemment savoureux, parfois assez littéraires, d’une qualité théâtrale au meilleur sens du terme. Là encore, peut-être doivent-ils tout au roman d’Aicard : je n’en sais rien. Du moins, alors, n’a-t-il pas été trahi, comme c’est hélas si souvent le cas.


Et ces répliques, quand elles sont mises dans la bouche d’un Raimu, en reçoivent évidemment beaucoup plus de force. Je ne m’étais jamais plus intéressé que cela à cet immense acteur français, peut-être victime (pour moi) des clichés qu’on peut lui associer si paresseusement. Je l’ai redécouvert ici, colossal, dominant tout le film, véritablement larger than life. Et sachant pourtant faire également preuve de subtilité... Un acteur d’une stature véritablement épique.


A côté de lui, des seconds rôles nombreux et hauts en couleur. On aimerait voir plus longuement Antoine Balpêtré (usurier très théâtral), Pierre Feuillère (en dandy arrogant et cruel), Robert Vattier (bandit d’une merveilleuse ironie amusée) ou encore la sœur de ce dernier, Nicole, qui allie au charme une réelle vivacité.


Manque le héros ? Oui, manque le héros, car il faut bien reconnaître que Berval n’a ici ni le charisme ni peut-être la jeunesse que demanderait le rôle, et conserve d’un bout à l’autre un côté bien trop « pommadé », trop chanteur de cabaret. On ne croit jamais véritablement à son Gaspard. Ce n’est pas grave, tout le reste compense.


Terminons par le propos politique du film, peut-être là encore dû au hugolien Aicard, mais qui sonne même à l’occasion très PCF (je ne connais pas l’orientation politique d’André Hugon ni de Carlo Rim, donc je me plante peut-être), parfois de manière un peu trop didactique, même si c’est plus souvent réjouissant qu’autre chose. Comme ces simples mais fortes paroles du forgeron Samplan : « Il n’y a que deux sortes de voleurs : ceux qui prennent aux pauvres pour donner aux riches, et ceux qui prennent aux riches pour donner aux pauvres. » Plus que jamais d’actualité...


Non, vraiment, je ne cherche pas à faire passer Gaspard de Besse pour un chef-d’œuvre, mais on a là un bon film d’aventures historiques à la française, avec un très grand acteur et un propos social simple mais nullement dépassé. Je ne crois pas le surnoter.

MerrimanLyon
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le 4 avr. 2023

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