En se focalisant sur la période tahitienne de Gauguin, qui lui vaut aujourd'hui ses plus grandes œuvres et une reconnaissance, Edouard Deluc, s'écarte du biopic classique.
Nimbant son films de couleurs exceptionnelles et plongeant souvent silencieusement dans les paysages magnifiques de Polynésie, Gauguin, dans sa première partie, peut parfois ressembler à un western (la bande-originale, belle, mais malheureusement pas toujours inspirée, de Warren Ellis aide beaucoup, toute en violon d'un autre temps).
Mais au-delà de ce parti pris, et de cette beauté (un beau travail sur les couleurs et la profondeur de champs, bien aidé par le décor naturel impressionnant de cette île), Gauguin - Voyage de Tahiti ne transcende en rien.


Deluc centre son récit sur la relation qu'a eu le peintre avec une jeune habitante, Tehura, avec laquelle il vivra quelques temps, et qui deviendra sa muse dans sa période la plus prolifique, devenu visage et corps régulier de ses tableaux. Mais de cette relation présentée comme une histoire d'amour, rien ne bouge, rien ne dépasse et la copie demeure trop lisse pour être puissante. Allant même jusqu'à rapidement ennuyer tant l'intrigue manque d'un récit, d'une trame, d'un rythme, qui se dilue dans une succession de scènes. L'émotion ne poindra que rarement, peut-être uniquement dans une scène finale d'adieux, toute en regards silencieux, à travers un tableau.


Il est dommage que le biopic sur cet artiste ne contienne pas une scène de vraie création, l'œuvre de Gauguin n'étant réduite qu'à des griffonnages, qu'à des scènes de pose, qu'à des tableaux dans le générique final, et jamais étudiée comme un travail de la matière, un travail du regard, un travail d'artiste. Cassel est bon, comme toujours, mais moins en forme que d'habitude, pas aidé peut-être par une direction d'acteur discrète.


On pourra enfin reprocher à Deluc son interprétation de la vie de l'artiste, mettant volontairement de côté l'aspect sulfureux de l'homme, haïssant l'Occident qu'il semble avoir usé, retrouvant dans la candeur sauvage de la Polynésie une vie à l'état brut, conspuant le colonialisme dont il s'est pourtant fait un noble représentant.
Sexualité débridée, alcoolisme et maladies, relations exécrables avec les colons, tout autant qu'avec les habitants de l'île qui n'en gardèrent pas un très bon souvenir. En gommant quasiment tout de l'aspect colonial du film, Deluc produit des images discutables d'une harmonie totale entre indigènes et colons, les uns se faisant tranquillement aux mœurs des autres. Il cache ainsi le fait que Gauguin profita de l'absence des lois de la métropole pour, ne cachons pas, abuser de jeunes filles (la Tehura présentée comme une épouse amoureuse, et adultère, déchirant le cœur de l'artiste écorché vif qu'était Gauguin - dans ce qui nous en est montré bien entendu -, était en fait une enfant de treize ans, "confiée" par sa famille au peintre), alors de l'âge de sa propre fille.


De cet homme contradictoire, admirable dans son œuvre et condamnable dans son comportement, Deluc aurait pu tirer un portrait plus nuancé, plus acerbe, plus intéressant que ce film monolithique, lisse et plat, qui sera malheureusement rapidement oubliable, malgré la douce beauté de Tuheï Adams, révélation du film.

Charles Dubois

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