De bric et de broc
Une certaine posture « Drôle d’objet ! » peut-on entendre en sortant d’une séance d’Under the silver lake. Pour sûr, les films comme lui sont rares, extra-ordinaires (au sens...
Par
le 25 juin 2018
10 j'aime
2
D’où vient la violence urbaine ? La question s’est reposée au lendemain du 31 mai, nuit de victoire du PSG tout en effusion de joie, de testostérone aussi, voire d’agressivité. Le hasard d’une projection m’a alors offert une image à raccorder aux images de casse : Généalogie de la violence (2024), film court du plasticien Mohamed Bourouissa (17’, disponible sur arte.tv pendant un an).
C’est l’histoire d’un flirt fauché par un contrôle au faciès. Celui d’un garçon (Bilel Chegrani) qui était fier d’avoir séduit une fille « bien sapée » (Nina Zem) avec qui parler de projets de vie. Certes dans sa voiture plutôt qu’au resto, faute de moyens. Au moment d’évoquer la parentalité, elle sourit de son timide « le plus important, c’est l’amour ». Pris en flagrant délit de romantisme, « grave gêné », il confie dans l’après-coup de la voix off : « Elle me regardait comme la personne que j’avais envie d’être ». C’est alors que la police, de sa lampe torche, jette sur la scène une autre lumière : ce lieu de rencontre devient suspect, et le garçon, un « jeune-de-banlieue ». Contrôle d’identité, palpation, fouille buccale — comme pour lui faire ravaler sa fierté.
Cette scène de routine du « film de banlieue », Bourouissa la dénaturalise en lâchant les rênes de la caméra, qui plane, redescend scruter les mains façon Bresson, survole en rase-mottes le relief des uniformes. Le tout renvoie d’abord une mauvaise impression de cinéma filmé. Puis se change en art vidéo, quand l’image se désagrège en poussière numérique pour former des paysages intérieurs, tandis que sa voix off narre le souvenir d’un rêve. Le garçon s’évade par dissociation. Manière aussi, pour le réalisateur, d’opposer à la banalisation de la fouille (par les films) une restitution phénoménologique. Bientôt, ces nuées de points reforment la scène d’interpellation, mais avec une drôle de texture, et figée comme une modélisation 3D. Il s’agit de photogrammétrie, soit la reconstitution d’un relief à partir d’une myriade de points de vue pris au drone. L’aspect est vidéoludique, déréalisant. C’est une chosification.
Ainsi le regard, d’abord à hauteur d’homme dans l’habitacle, s’est-il délocalisé. Affranchi de l’humain, il va jusqu’à saisir, à travers la fenêtre d’une maison voisine, la présence d’une petite témoin. Or ce mouvement est bien celui de la conscience du garçon : c’est sa honte qui s’étend au regard d’autrui. Et qui s’étend après l’incident, quand, de retour dans la voiture, il garde le silence de l’humilié. Fin. Alors apparaît le titre Généalogie de la violence. De prime abord pompeux et pseudo-sociologique, il devient ici, à la faveur du raccord-titre, une réponse à notre question initiale. La violence, celle à venir, celle du garçon peut-être, s’originerait dans la honte.
On pourrait aller plus loin en chaussant les lunettes de Sartre ou de Fanon. À la limite, cette scène d’interpellation l’est au sens existentiel. Pour le premier, Jean Genet serait devenu voleur pour coller à l’étiquette qu’on lui colla dès l’enfance pour de menus larcins : l’interpellation « Voleur ! ». De même, le garçon interpellé au motif de sa seule présence deviendrait-il ce qu’on le suspectait d’être, c’est plus kafkaïen. Pour démonstratif qu’il soit, ce raccord-titre est éloquent : avant de les traiter de « barbares », on les traita comme tels, et certains, hélas, joueront les barbares. Mais est-ce suffisant ? Il y a besoin d’autres raccords.
Texte adressé au Courrier des lecteurs des Cahiers du cinéma, le 5 juin 2025 (non retenu).
Créée
le 22 sept. 2025
Critique lue 5 fois
Une certaine posture « Drôle d’objet ! » peut-on entendre en sortant d’une séance d’Under the silver lake. Pour sûr, les films comme lui sont rares, extra-ordinaires (au sens...
Par
le 25 juin 2018
10 j'aime
2
Ses films ne sont pas faciles. Ils sont les fragments livrés d’une conscience intranquille, et c’est à nous de recomposer un continuum, en faisant la part du « réel » et du...
Par
le 30 avr. 2020
9 j'aime
2
(Attention : ici ça spoile tout) Mais pourquoi ce « Paul Sanchez est revenu ! », qui s’annonçait comme gentiment loufoque, m’a-t-il finalement donné envie de pleurer ? Ce...
Par
le 1 août 2018
9 j'aime
3