Ou comment terroriser le spectateur avec intelligence

Halloween 1992, la BBC diffuse un programme d'un genre nouveau : une émission de divertissement de fiction. Sur un plateau de TV, des animateurs de la BBC partent à la recherche de phénomènes paranormaux.
Des appels téléphoniques sont disséqués, une spécialiste du poltergeist est invitée sur le plateau, et Sarah Green (journaliste de la BBC) est envoyée enquêter dans ce qui est annoncé comme "la maison la plus hantée d'Angleterre". Tout est donc fait pour faire croire à une véritable émission, diffusée en directe - alors qu'en fait il s'agit bel et bien d'une fiction (partiellement) enregistrée à l'avance.
Malgré tout la BBC l'a joué finement : si l'émission est diffusé dans le créneau "drame", que les programmes TV et les spots radio font état tant de l'aspect "drame" que d'un casting ("untel dans le rôle de..."), il semble qu'une fois devant le poste, la grande bretagne ait oublié cela. Et pour cause, les évenements se déroulant sur le plateau de TV sont en direct : les animateurs réagissent à des séquences de fictions tournées des semaines plus tôt. Mieux, le numéro de téléphone qui apparait pendant l'emission, invitant les spectateurs à partager leurs histoires de fantômes est le numéro habituel du standard de la BBC.
S'en suit une vague de terreur, des avalanches d'appels furieux, des réclamations etc... L'audience a été proprerment terrorisée par Ghostwatch, et lorsqu'ils se sont aperçu de la supercherie (qui n'en était pas vraiment une, le programme étant annoncé comme un "drame" avec casting, donc comme une fiction), les boucliers se sont levés.

Il faut dire qu'en plus d'amincir la ligne entre réalité et fiction par l'usage de quelques articfices bien pensés, Lesley Manning (réalisateur) et Stephen Volk (scénariste - aussi auteur du sublime Edge of Darkness) frappent très fort. L'histoire manipule habilement le spectateur, jouant avec de vraies / fausses apparitions enregistrées, qui sont ensuite décortiquées sur le plateau de l'émission... créant une véritable confusion (ai-je bien vu cette figure menançante ? Quels sont ces bruits ? Pourquoi le chat fuit-il ?). A mesure que le paranormal s'infiltre dans l'émission, les doutes pleuvent et les réactions des animateurs sont tout simplement bluffantes.

En fait, c'est tellement malin, que la BBC a hésité jusqu'au dernier moment de diffuser Ghostwatch, craignant les réactions des spectateurs... qui ne se firent pas attendre, malgré les précautions prises par la chaîne (ajout d'un générique au dernier moment, précision en ouverture du programme qu'il s'agit bien d'une fiction, etc.)

Aujourd'hui, l'émission serait considérée comme un jackpot total... mais à l'époque, les spectateurs furent tellement mécontents, que la BBC dû enterrer le programme pendant de nombreuses années. Et pour cause, Ghostwatch est réputé pour être le premier programme télé à avoir provoqué des troubles de stress post-traumatiques chez les spectateurs (deux enfants pour être plus précis)... des années avant Paranormal Activity et autres...

Au final, le programme a pris un léger coup de vieu, mais son aspect sulfureux et l'intelligence du script le maintiennent au rang des (télé)films cultes. Impressionnant !