Remis sur selle après une chute des plus vertigineuses, M Night Shyamalan prenait tout le monde de court avec Split. Avec une malice insoupçonnée, son final explosait les règles qu'on pensait établies chez le cinéaste. Il a suffit que Bruce Willis aka David Dunn pointe le bout de son nez dans l'épilogue du film pour faire basculer Split dans un autre univers. Du thriller gentiment tordu, on le voyait muter en séquelle azimutée du plus grand long de son auteur, Incassable. Le "Shymalan-Verse" était né ! Glass augurait donc les retrouvailles avec le héros indestructible croisé 19 ans plus tôt (Dunn) et sa confrontation avec la Horde (Kevin Wendell Crumb et ses nombreuses personnalités), sous l'œil de son vieil ami/ennemi (Elijah Price).
Dans la conjoncture actuelle (les écrans saturés de super-héros), Glass fait presque office de messie venu rappeler tout le monde à l'ordre. En 2000, Incassable déstabilisait le monde avec ses figures de comics plongées dans le monde réel et son ton résolument anti-spectaculaire. Vingt ans plus tard, les super-héros trustent les écrans et atteignent un niveau de démesure stratosphérique. Revenir à l'humain et le tissu social dans lequel il se débat ne pouvait pas faire de mal, bien au contraire. Plus proche formellement du thriller schizo sorti en 2017 que du drame super-héroïque sorti au début du deuxième millénaire, Glass rappelle le chemin parcouru par son réalisateur/scénariste depuis sa décrépitude.
Le rythme est plus enlevé et le ton plus rusé. Shyamalan a manifestement des choses à raconter sur ces personnages, et sur ce monde dans lequel ils baignent. Ce monde, le notre, où les héros en spandex ont le monopole sur la création cinématographique en plus d'avoir une place imposante dans la pop culture. D'une façon ou d'une autre, nous sommes tous familiarisés avec. Sans arrogance, Glass livre un constat amer quoique sincère sur ce surrégime super-héros, qui dénature leur pertinence et pouvoir d'évocation. Elle se traduit ici par la "confrontation" opposant ses icônes à une psychiatre remettant en cause leur singularité pour les faire entrer dans le moule. Malgré des dialogues parfois trop didactiques ou martelés maladroitement, le propos me semble parfaitement valide et contribue à intercaler Glass aux côtés d'Incassable.
On retrouve la direction empruntée en 2000 avec Incassable, qui poussait le spectateur - et son héros - à l'introspection pour retrouver la foi en cet individu qui peut faire la différence. Jusque dans sa mise en scène, Shyamalan établit un contact direct avec l'audience (cf les très nombreuses adresses des personnages face caméra). Il se joue des attentes et passages obligés avec ironie. C'est parce qu'il est traité avec humanité (jusque dans ses séquences musclées ou rebondissements) que ce troisième opus remplit son contrat à mes yeux. Je le situerai au même niveau que Split. Mais encore loin d'Incassable. Le film est la liaison de ses deux prédécesseurs, mais il se montre inégal dans certaines jonctions. Inégalité de traitement parmi les 3 personnages principaux, et certains seconds rôles sont réduits à des emplois purement fonctionnels, voire du caméo. Puis malgré son réalisme incontestable, certaines incohérences viennent nuancer le plaisir.
Si James McAvoy s'impose avec génie dans le rôle multiple de Crumb, je reste frustré de ne pas avoir eu plus de Bruce Willis dans le film. L'acteur, qui ne semblait plus s'intéresser à sa carrière depuis quelques années, retrouve la justesse qui illuminait Incassable. Mais il ne bénéficie pas du même temps de présence que McAvoy et c'est bien dommage. Samuel L. Jackson ne souffre pas de ce problème, et livre une composition soignée. Il est également appréciable de retrouver le touchant Spencer Treat Clark (interprétant Joseph Dunn). Ana Taylor Johnson de retour après Split n'a par contre par les honneurs d'une écriture généreuse, et malgré son talent, le rôle manque de profondeur pour percer. Enfin, Sarah Paulson fait une très belle entrée dans le rôle d'Ellie Staple (la psy qui cuisine les super-héros). Ça ne m'aurait pas gêné de passer plus de temps dans l'univers Shyamalanesque, car il y avait de quoi livrer un film plus complet. Glass recolle les morceaux de sa fresque fragmentée, et si l'unité n'est pas parfaite, elle a au moins le mérite d'exister.

ConFuCkamuS
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le 25 juil. 2019

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