Un dimanche soir, devant un plateau-repas, mon compagnon m'a proposé de voir ce film, recensé dans le livre "Film as a Subversif Art" d'Amos Vogel. (Nous nous intéressons tous les deux au cinéma subversif). D'après sa note imbd (3,7 / 10), nous pensions qu'il s'agissait d'un nanar, or nous souhaitions regarder un film bête, sans prise de tête, qui nous permettrait de ricaner entre deux gorgées de bière. Ce que nous avons vu ne correspondait pas du tout à nos attentes.


L'histoire n'a ni début (à moins d'avoir vu l'affiche puisqu'elle donne un indice quant au point de départ) ni fin. D'abord, il y a un jeune homme et une jeune femme - Glen et Randa - nus dans un pré, puis dans une voiture encastrée dans un arbre où ils font l'amour ("maybe cars become trees the way leaves become butterflies"). Ils pourraient avoir l'air d'enfants sauvages de très grande taille, ou de hippies, ou d'Adam et Ève. Ils parlent anglais et font partie d'un groupe d'individus hagards en haillons. Glen n'a pas l'air très intelligent sous sa tignasse hirsute mais il possède un trésor : une vieille bande-dessinée de super-héros. Fascinée par la ville imaginaire décrite dans sa BD, il interroge "le magicien" qui leur parle d'une grande ville qu'il a connue, avant de voir des morts dans les rues. Glen décide alors de rejoindre Metropolis, où vit Wonder Woman, par delà les montagnes. Randa est l'ingénue et celle qu'il force plus ou moins à marcher, à manger, à baiser... Une petite chose maigrichonne dépourvue de culotte sous ses robes courtes. Elle suit Glen sans en avoir envie, sans doute pour rester avec lui. Randa ne prend jamais d'initiative. En cours de route, elle découvre qu'elle est enceinte. Pendant leur voyage, ils croisent un cheval (qu'ils prennent d'abord pour un chien, ou un chameau) puis un vieux pêcheur qui leur propose de venir dans sa maison déglinguée où l'adolescente pourra accoucher.


Au commencement, ça bavarde beaucoup trop. Nous avons triché en accélérant la lecture du film. Soudain, j'ai commencé à avoir très envie de connaître la suite, malheureusement c'était le moment où apparaissait le générique. Le film est quasiment dépourvu de musique, à l'exception du titre "Time is on my side" des Rolling Stones au début, avant le départ du couple. Cette scène m'a laissée perplexe. Ils sont tous assis là, immobiles et impassibles. Certainement, ils écoutent, mais que ressentent-ils ? De la nostalgie ? De la curiosité envers quelque chose d'inconnu ? Ou bien de l'indifférence ? En tout cas, dans ce monde là, on ne danse plus. Sauf peut-être Randa, lorsqu'elle tape dans ses mains en riant avant d'uriner sur le carrelage, comme une toute petite fille. Cet aspect enfantin a d'ailleurs quelque chose d'invraisemblable. Glen et Randa n'ont aucune notion de la politesse. Ils ignorent qu'on se serre la main entre inconnus par exemple, alors que des conserves datées et divers éléments (les piles qui fonctionnent encore dans certains appareils ménagers...) permettent de penser que l'explosion nucléaire est récente. Comment peuvent-ils savoir parler et lire tout en ayant désappris tout ce qui relève de l'acquis ? L'absence de budget contribue au manque de réalisme du film, et peut-être est-ce ce qui le rend touchant. La mise en scène est aussi naïve que les héros principaux, c'est la réalité telle qu'ils la voient. Et après tout, la vraisemblance n'a que peu d'importance dans un conte philosophique. Le message quant à la critique de la société de consommation n'en est pas moins clair pour autant. Les objets auxquels les humains accordaient tant d'importance ont perdu toute signification et en essayant de vivre comme dans cette civilisation perdue, nos héros sont pathétiques (cette scène dans laquelle Glen s'assoit sur le canapé, son journal à la main et sa pipe éteinte à la bouche, face à l'écran noir d'une télévision privée d'électricité, afin d'être "civilisé").


Il est amusant de constater que ce film oublié et mal noté a obtenu des critiques très positives à sa sortie. Time Magazine le mettait dans son top 10 des meilleurs films de 1971, "one of the best and most original American film of the year". "It's the most original American film I've ever seen", selon Robert Redfort. Rien que ça !? Certes, il est original par rapport à d'autres films post-apocalyptiques, y compris de nos jours. Imaginer des survivants aussi innocents constitue un parti pris étonnant. Nous sommes plutôt habitués à les voir s'entre-tuer pour survivre. Sans aucun doute, c'est un film subversif et certaines scènes mettent le spectateur très mal à l'aise. Elles ne sont supportables que parce qu'elles sont entrecoupées de passages satiriques. Néanmoins, "Glen and Randa" ne mérite ni les éloges de la presse autrefois, ni sa mauvaise note actuelle sur imdb. C'est un film à découvrir, mais peut-être en accéléré.


(Par ailleurs, si qui que ce soit pouvait m'expliquer pourquoi la maison est brûlée à la fin du film, je lui en serais très reconnaissante. Au début, j'ai spontanément pensé qu'on brûlait les morts par hygiène, puis je me suis rappelée du squelette sur le canapé. Je comprends bien l'aspect symbolique du geste, mais pourquoi à ce moment là du film ? Depuis 48 heures, je cherche une réponse à cette question).

JunkoFrantic
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le 20 oct. 2015

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