La renaissance d'un mythe, et la quintessence du blockbuster !

Avant toute chose, l’auteur de ces lignes doit préciser n’avoir jamais été un fin connaisseur ou admirateur de cette célèbre franchise comptant aujourd’hui des dizaines de films, sans même aller jusqu’à compter ses douteuses déclinaisons américaines. Il ne s’agit pas de dire que ces films sont surestimés mais tout simplement d’être totalement passé à côté et de ne pas se sentir le client visé. En 2016, Shin Godzilla avait en quelque sorte relancé la franchise en arrivant précédé d’une rumeur plus que flatteuse et le résultat avait été pour certains plus que déceptif, un visionnage laissant dans la plus grande perplexité sur le pourquoi du comment. Comment un film montrant en grande partie des personnages dans des bureaux dont les noms et rôles politiques apparaissaient à l’écran dans la plus grande confusion et cacophonie pouvait passer pour le chef d’œuvre absolu du genre ? Certes, les scènes de destruction massive étaient pour le moins impressionnantes mais tout l’aspect bureaucratique était assez rédhibitoire pour notre part. Quelques années plus tard, survient donc cette nouvelle déclinaison du célèbre lézard atomique créé en 1954, toujours doté d’une rumeur dithyrambique, mais à un niveau encore supérieur, étant donné que le film fait un carton dans le monde et se retrouve même nommé aux Oscars, une première pour la franchise. Et là, le miracle. La révélation céleste. Oui, il s’agit bel et bien d’une réussite totalement inattendue pour le non fan de base, et d’une écrasante leçon de cinéma pour tous les tâcherons Hollywoodiens croyant qu’une succession de scènes réalisées à la palette graphique sans aucune once de point de vue ou d’incarnation derrière peut donner du cinéma, et surtout la preuve qu’avec peu (environ 15 millions de dollars de budget estimé), on peut faire mieux qu’un bouzin à 200 patates. Et c’est parti pour le show.


L’action prend place en 45, alors que la fin de la guerre approche. Koichi, un jeune aviateur supposé se faire kamikaze se voit confronté une première fois à Godzilla lors d’une introduction apocalyptique faisant apparaître la créature plein écran, sans chercher à faire dans le minimalisme, partant du principe que le public sait maintenant à quoi celui-ci ressemble. Une scène dantesque se terminant de manière rude, laissant le jeune homme traumatisé et détruit par sa culpabilité de n’avoir d’une part pas osé aller au bout de sa mission, et d’autre part d’avoir été pétrifié au moment d’agir contre le monstre, pour un résultat humainement désastreux. Le reste du film se déroulera entre 46 et 47, donc les années immédiates d’après guerre, dans un Japon en reconstruction. Comme chaque cinéphile le sait, avant d’être une créature iconique du cinéma fantastique, Godzilla était surtout et avant tout le symbole d’un inconscient collectif encore traumatisé par les frappes atomiques ayant frappé le pays à l’issue de la guerre, et cette peur désormais collective des retombées radioactives. Ce sentiment que le monde venait de basculer et pouvait être annihilé en un instant par la folie des hommes. Si cet aspect avait pu être quelque peu laissé de côté lors de multiples déclinaisons faisant simplement dans la surenchère cartoonesque en transformant progressivement le bestiau en rempart brandi par la nation contre de multiples créatures, il retrouve ici sa puissance initiale et apparait d’emblée comme la mauvaise conscience d’une nation, surgie directement des entrailles de la Terre, dans une référence assez flagrante à Lovecraft.

Le contexte d’après guerre offre un terrain de jeu idéal métaphorique pour explorer des pistes humainement passionnantes et réellement fouillées psychologiquement, grâce à des personnages parfaitement caractérisés et incarnés, du jeune anti héros au parcours intérieur clair (lâcheté, culpabilité et possibilité de rédemption héroïque), à la jeune mère par obligation, devant élever un bébé qui n’est pas le sien, et dont la relation avec Koichi n’ira pas de soi, prenant véritablement le temps d’être posée et rendue crédible par le contexte dans lequel elle se situe, la mise en place pose ses enjeux avec un classicisme que l’on ne pensait pas encore possible aujourd’hui, qu’il s’agisse du cinéma Hollywoodien bouffé par ses impératifs d’exécutifs, et même dans le cinéma japonais grand public lui aussi devenu assez aseptisé, donnant souvent l’impression de dramas pour grand écran. Rien de tout ça ici, et l’on a d’emblée la satisfaction de voir évoluer des personnages humains, aux préoccupations censées et aux actes crédibles, qu’ils soient nobles ou lâches. Nous n’irons bien entendu pas plus loin dans la description de ce qui se passe durant le film, mais le découpage à l’ancienne, et la structure limpide dans l’enchainement des évènements, alternant parfaitement entre les longues scènes intimistes et les morceaux de bravoure, sont tenus jusqu’au bout sans aucune baisse de régime. On frémit plus d’une fois face à la perspective que le tout ne finisse par retomber sur ses pattes, dans une surenchère de destruction ou de sentimentalisme. Le risque de tomber dans un patriotisme déplacé est grand également, car on sait à quel point le blockbuster asiatique moderne peut ne pas faire dans le dentèle à ce niveau. Et pourtant, là encore, le film réussit l’impensable, à savoir présenter un discours plein d’amertume sur l’inaction politique, l’incapacité des puissants à l’issue de la guerre, dans un pays affaibli, à protéger son peuple militairement, des civils devant se réunir pour réagir face à cette menace fictive réactivant le traumatisme encore non cicatrisé de la guerre et ses dégâts irréversibles. L’héroïsme sera amené de manière subtile, les personnages s’accomplissant avant tout par leurs actes plus que par leurs discours. Et surtout, ces actes sont toujours montrés à échelle humaine, le déséquilibre des forces n’étant à aucun moment minimisé, les personnages humains devant trouver des solutions scientifiques plausibles face à une menace disproportionnée. Une dimension encore une fois humaine avant tout, permettant des moments d’une intensité émotionnelle insoupçonnée, culminant lors de pics d’intensité pouvant presque faire couler les larmes par leur lyrisme insensé, propulsés davantage encore par une musique aux accents grégoriens évoquant les meilleurs passages du Seigneur des anneaux, et provoquant des frissons purement jouissifs.

On pourrait détailler longtemps les innombrables qualités individuelles faisant de ce film une date importante du genre, et mettant au tapis toutes les tentatives des dernières années échouant à provoquer du rêve et à stimuler l’imaginaire, par leur uniformisation de cet imaginaire. On retrouve ce plaisir des origines à se plonger dans un récit incarné par de vrais personnages auxquels on s’identifie, et où l’action et la destruction servent les enjeux. L’unique véritable scène de destruction du film, arrivant en son milieu, est en quelque sorte une réponse cachée aux immondices du même genre dans le cinéma américain (coucou Emmerich), où des millions de personnes meurent hors champ dans l’indifférence générale, dans une vision quasiment nazie de l’humanité. D’un côté, peu importe que des millions d’êtres humains meurent, du moment que la parfaite petite famille américaine modèle survit (avec le chien de préférence), de l’autre, la compréhension viscérale de ce qu’implique la moindre disparition, du poids humain qu’un mort fait peser sur son entourage, et un sens du tragique imparable. Voilà la différence majeure entre un blockbuster parmi d’autres, nous noyant sous les effets spéciaux ayant blasé depuis longtemps jusqu’au spectateur moyen, et un vrai film de cinéma, exécuté par un artisan besogneux et soucieux du travail bien fait, ayant mis la main à la patte à tous les niveaux de la production (jusqu’aux VFX).

On s’arrêtera donc là dans les dithyrambes, étant inutile de détailler point par point les nombreuses réussites du film, existant pour lui-même et non seulement pour la somme de ses qualités. Un film incarné à tous les niveaux, parfois bouleversant, souvent exaltant, et nous laissant avec un sourire de pur contentement. Profitons-en, car cela risque de ne pas arriver à nouveau avant un moment. Masterpiece !

micktaylor78
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le 26 janv. 2024

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micktaylor78

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