« Goodbye, Dragon Inn » se passe intégralement dans un cinéma en passe de mettre la clef sous la porte, un cinéma nommé « Paix et Bonheur », un cinéma au sein duquel il pleut. On regrettera peut-être la poétisation relativement insistante dans la réalisation de Tsai Ming-Liang, laquelle n’est pourtant pas sans aller avec une certaine richesse narrative. Pour cette dernière nuit avant sa fermeture, le cinéma, théâtre de l’action, projette un grand classique taïwanais : « Dragon Inn » de King Hu (1967). Nous voici donc tentés par la mise en abyme, puisque le film dépeint le microcosme de spectateurs venus assister à la projection, suivant notamment l’hôtesse d’accueil et le projetiste, le cinéma étant si grand que les deux protagonistes ne s’y sont jamais croisés. « Goodbye, Dragon Inn » se voit dès lors comme la fin d’un monde, montrant une réalisation quasi oppressive. Les cadrages, particulièrement serrés, ne sont pas sans induire les traits fantastiques du film, à l’instar de cette séquence aux toilettes où l’on peut observer trois hommes uriner cote-à-cote (alors qu’il y a au moins une quinzaine d’urinoirs vides autours d’eux) pendant plusieurs minutes. Dans la salle même, c’est pareil : quasiment vide pour une centaine de fauteuils, les spectateurs (parmi lesquels on reconnaitra Miao Tian et Shih Chun) se regroupent dans une même rangée, rendant l’atmosphère d’autant plus oppressive, mais surtout mélancolique, silencieuse. À force de mener son récit au travers de longs plans lénifiant, Tsai Ming-Liang installe une solitude quasi irrémédiable autour de ses personnages, dépeignant leur rapport quasi mortifère à cet environnement. Prenant comme toile fond le film de King Hu, « Goodbye, Dragon Inn » ne laisse que très peu de mots se prononcer, allant de paire avec une narration quasi uniquement visuelle, misant notamment sur le mystère et la répétition. Nombreux sont les plans d’ensemble de la salle de cinéma, captés depuis l’entrebâillement d’un rideau, comme si le film lui-même était observé. Comme dis plus haut, le long-métrage vire, au fur-à-mesure, dans une intrigue fantastique qu’il se garde bien de confirmer. Le cinéma comme un lien social, mais aussi comme une contrée onirique en voie de disparition, donc, comme c’était déjà le cas quelques années plus tôt, en 2001, dans le « Millenium Actress » de Satoshi Kon. « Plus personne ne va au cinéma, plus personne ne se souvient de nous » murmure Miao Tian à Shih Chun dans le dialogue final. Une bien jolie manière de nous signifier qu’il est désormais temps de sortir de la salle.

JoggingCapybara
8
Écrit par

Créée

le 1 août 2020

Critique lue 198 fois

1 j'aime

JoggingCapybara

Écrit par

Critique lue 198 fois

1

D'autres avis sur Goodbye, Dragon Inn

Goodbye, Dragon Inn
Moizi
8

La paix

De Tsai Ming-liang je n'ai vu que les rebelles du Dieu néon, qui m'avait laissé assez dubitatif je crois bien. J'avais coupé la saveur de la pastèque après trente minutes alors qu'il passait à minuit...

le 3 juin 2016

18 j'aime

Goodbye, Dragon Inn
IllitchD
8

cessation d'activité

Retrouver un lieu qui convie un autre film majeur de son auteur, Et là-bas, quelle heure est-il ? (2001) rappelle toujours de bons moments de cinéma, mais ici l’heure n’est pas à la fête. On assiste...

le 6 déc. 2014

17 j'aime

1

Goodbye, Dragon Inn
Paul-SAHAKIAN
10

Goodbye, Wu Xia Pian.

Difficile de parler d'un film qui nous touche aussi personnellement. J'aime le film Dragon Inn et toute la tendance Wu Xia Pian qui en découle. Pionnier du genre et film le plus populaire de King Hu,...

le 28 févr. 2023

7 j'aime

Du même critique

Il n'y aura plus de nuit
JoggingCapybara
8

Soleil noir

Autrefois particulièrement productif et jouissant d’une considérable aura auprès du public, le genre du film de guerre, hormis quelques rares éclats, donne désormais l’impression de s’être...

le 28 juin 2021

9 j'aime

Jeunesse (Le Printemps)
JoggingCapybara
8

S'en sortir sans sortir

Première partie d’une trilogie, « Jeunesse (Le Printemps) », fresque documentaire tournée entre 2014 et 2019 dans les cités dédiées à la confection textile de Zhili (à 150 kilomètres de Shanghai, au...

le 3 janv. 2024

8 j'aime

8

Séjour dans les monts Fuchun
JoggingCapybara
8

Nature des êtres

Il y a comme un paradoxe dans « Séjour dans les Monts Fuchun ». Les personnages, dans l’ensemble de leurs dialogues, parlent d’argent, d’une manière si exacerbée que cela en frôlerait presque...

le 10 janv. 2020

7 j'aime