Plaidoyer au féminin contre la haine et la stigmatisation de l’autre

Le Soudan, pays divisé entre un sud catholique, et un nord musulman. En 2011, le sud accède à son indépendance, espérant ainsi mettre un terme au racisme et aux violences exercées par le nord depuis 1955. Espoir qui, dix ans plus tard, s’avère vain. C’est dans ce contexte de tension et d’incompréhension que le cinéaste Mohamed Kordofani, originaire du nord, choisit d’inscrire son  premier long-métrage, dans lequel il noue une situation doublement cornélienne.

Le réalisateur et scénariste ouvre son film en 2005, sur fond de révolte et de heurts entre les deux communautés. Les protagonistes impliquées dans le nœud cornélien qu’il met en place sont deux femmes : Mona (Eiman Yousif), bourgeoise du nord et musulmane, mariée à un homme, Akram (Nazar Gomaa), dont elle n’a pas d’enfant ; et la Julia éponyme (Siran Riak), femme du sud, pauvre, chrétienne, et qui a un enfant, Daniel (Louis Daniel Ding puis Stephanos James Peter), de son mari, Majier (Ger Duany). Pour expier un crime de sang, et peu à peu pour des raisons de plus en plus multiples et complexes, la première recueillera chez elle la seconde, avec son enfant, sous le prétexte de la prendre à son service. Et la seconde taira longtemps - pour quelles raisons…? - ce que, pourtant, elle n’a pas tardé à comprendre…

Comment accueillir chez soi celle qui, toutefois, pourrait vouloir votre mort ? Comment pardonner à celle qui vous a meurtri le plus profondément possible ? Ces questions vont se trouver explorées, fouillées, à travers la riche amitié qui va finir par unir ces deux femmes et l’instinctive sympathie qui les a d’emblée gardées de se dresser l’une contre l’autre. Jusqu’à ce que le passé resurgisse, avec toute la violence qui était restée bien enclose en son sein.

Produit par Amjad Abu Alala, le réalisateur du très intéressant Tu mourras à vingt ans (2020), Mohamed Kordofani signe là une œuvre résolument féministe, tant la violence et une fierté meurtrière semblent inéluctablement ancrées dans l’univers masculin, alors que la subtilité, l’empathie, l’aptitude à aller au-delà du conflit apparaissent comme l’apanage des femmes. Seul un homme pouvait se permettre un tel manichéisme, qui, dans son regard devient élégant, alors que, émanant d’une femme, il aurait paru caricatural. Tant il est vrai que le plaidoyer pro domo manque de savoir-vivre, sauf lorsqu’il s’agit véritablement de perforer la membrane d’un silence…

Bien que situé en plein continent africain, ce long-métrage d’une durée de deux heures est d’une facture à l’occidentale, visant un public large, y compris dans son propre pays. L’image de Pierre de Villiers est précise, esthétique, soulignant le contraste entre les extérieurs dévorés de soleil et les intérieurs tamisés, plongés dans une pénombre protectrice. Bien que suivant au plus près les émotions des personnages et les non-dits, la caméra se tient toujours à une distance respectueuse, dans une forme de non-violence, de non-intrusion et de profond respect de l’autre. Car c’est avant tout d’un tel message que le réalisateur-scénariste se veut porteur, appelant au retour d’un esprit de paix dans son pays, et porté par la très belle musique de Mazin Hamid. 


Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/goodbye-julia-film-mohamed-kordofani-avis-10062206/

AnneSchneider
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le 8 août 2023

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Anne Schneider

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