Un ami avait insisté pour qu'on aille voir "Gosford Park" au cinéma. Je m'attendais à un portrait au vitriol de l'aristocratie, un peu comme "Prêt-à-porter" l'avait été pour le monde de la mode. Quelle ne fût pas ma surprise !
Du début du film, les différentes nuances des personnages semblent d'une subtilité inattendue. Robert Altman avait ce film au fond d'un tiroir depuis les années 80, à posteriori je suis soulagé qu'il ait attendu. Altman s'est entouré d'experts, le scénariste Julian Fellowes (très connu dans les pays anglo-saxons) est un connaisseur des séries mythiques comme "Upstairs Downstairs"(Maîtres et Valets), "Brideshead revisited( Retour au Château), mais il ne possède pas la finesse de James Ivory .
Le style Fellowes est à cheval entre le feuilleton télévisé (voir le soap-opéra) et le film classique, ses succès vont dès "Femme Fatale"( avec Juliette Binoche et Jérémy Irons) à "Deux frères", en passant par "007" et "les aventures du jeune Indiana Jones". Dans "Gosford Park", Altman a soigné les détails historiques, les intérieurs et les vêtements portés par les personnages ( aristocrates et domestiques), contrairement à "Downton Abbey" où tout est hyper clean et neuf, les décors sont aseptisés et les pièces sont illuminées à jour, donnant à l'ensemble un résultat irréaliste.
"Downton" est un palace astiqué pour la télévision, Gosford Park est un manoir réaliste avec ses chambres de bonnes sordides, ses problèmes de chauffage et d'eau chaude (la réalité), ses domestiques peu politisés et soumis à un système de classe implacable. Heureusement que Altman a su contenir les ardeurs et délires de Fellowes.
Les personnages se succèdent et ne se ressemblent pas. Le couples d'hôtes, Sir William et Lady Sylvia, reçoivent par obligation :
- la comtesse Trentham, la tante de Lady Sylvia.
- les soeurs (de Lady Sylvia), Lady Louisa et Lady Lavinia et leur maris respectifs.
- Ivor Novello, cousin de Sir William, acteur et compositeur. Il est accompagné par un producteur américain, Weissman, et l'amant/acteur de ce dernier.
- Honorable Freddy Nesbitt et son épouse, aristocrate fauché marié avec une fille d'industriel, dont il a déjà dilapidé la fortune. Amant de la fille de Sir William,Isobel, il lui fait un chantage pour qu'elle lui donne de argent, autrement il dira à Sir William qu'elle est enceinte.
Une comitive réunie autour du vieux Sir William, que tout le monde déteste, aussi bien chez les aristocrates que chez les domestiques. Sa mort serait un soulagement pour tout ceux qui veulent son argent. Sir William veut arrêter l'allocation versée à la comtesse Trentham, ses investissements vers son beau-frère et d'autres. Sans oublier le soulagement pour Lady Sylvia, elle même éprise par son beau-frère, le mari de Lady Louisa, qui fait chambre à part depuis toujours.
Le réalisme du film fait la différence, autrement on serait dans un feuilleton genre "Hercule Poirot" ou "Miss Marple". Le manoir dans le film a d'ailleurs été le set du film " L'amant de Lady Chatterley" (1986) et "Hercule Poirot" (1991).
Le doublage français est un de pires, d'ailleurs je déconseille, la VO est pleine de nuances dans les voix/accents des personnages. En français, même Maggie Smith, la comtesse, a une voix monotone et très grave, une absurdité. Les domestiques parlent comme des diplômés de Sciences Po ou HEC, c'est ridicule.
L'ennuie ou lenteur du film est hyper réaliste, un weekend à la campagne ou dans un château, accompagné de vieux aristocrates, ne passe pas en vitesse, croyez-moi ! J'en sais quelque chose, j'y ai grandi, plus de 23 ans avec des proches et aristos européens . Le meurtre et les trois amis artistes et homosexuels mettent de l'ambiance dans le film.
En vrai, les vacances, weekend ou pire les fêtes (Noëls, Pâques) sont d'un lugubre, une immense tristesse. Des huis clos déprimants, sans musique, sans vie, juste des bavardages incessants sur les aristos et autres bourgeois.
La colonne sonore du film est un vrai hommage à Ivor Novello, pas du tout aristocrate, mais compositeur/acteur gallois très talentueux. Novello, interprété par Jeremy Northam, ne chantait ni en public et ni en privé. Il enregistrait juste ses chansons, des gros succès. À 21 ans, en 1914 il a composé "Keep the home fires burning ", un chant patriotique britannique de la première guerre mondiale, entré dans l'histoire.