Gran Turismo
6.1
Gran Turismo

Film de Neill Blomkamp (2023)

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Quelques semaines seulement après la sortie des deux longs métrages les plus attendus de l’été, un film essaie de profiter des dernières semaines estivales et des vagues de chaleurs successives pour draguer, à grand renfort de moteurs qui ronronnent, de pilotes burnés comme Rocco et de drones sous amphètes tout à la fois les aficionados de jeux vidéo et ceux de courses automobiles : Gran Turismo. C’est connu comme le loup blanc, les adaptations de jeux vidéo, de leurs univers ou de leurs concepts, sont rarement des bijoux du 7ème art. Gran Turismo réussira-t-il là ou tant d’autres ont échoué ?
Vous avez lu le titre, vous savez donc (si vous avez ouvert un dictionnaire au moins une fois dans votre vie) que non, mais découvrons ensemble pourquoi.

« Combien de placements de produits vous voulez ?
- Oui. »

Il faudrait être naïf ou hypocrite pour prétendre être surpris qu’un film adaptant une licence de jeux vidéo ne fasse pas montre d’au moins un tout petit peu de placement de produits. D’aucun dirait que c’est l’époque qui veut ça et qu’après tout, si Will Smith vend des pompes dans une dystopie Asimovienne, ce ne serait pas déconnant d’essayer d’écouler une ou deux palettes de jeux grâce au film Gran Turismo. Le souci c’est que le gros plan sur la paire de Nike de notre As du coup droit (après Nadal) paraît subtil tant Gran Turismo nous vomit sa publicité au visage. Des scènes rallongées pour présenter des fonctionnalités absentes du véritable jeu, un joueur qui reconnaît des freins vitrifiés parce qu’il a « réparé des dizaines de voitures » dans le jeu ou encore, et c’est un comble, notre tout jeune pourceau qui réinvente carrément le tracé du Mans (plus c’est gros, plus ça passe) grâce à son expérience acquise sur le simulateur, le film ne recule devant rien. Si Gran Turismo était un homme, je suis prêt à parier qu’il se serait fait opérer afin de se faire retirer quelques côtes.

Décence et finesse étant deux mots absents de l’algorithme ayant servi à pondre le script, viendra s’entasser dans chaque plan pêle-mêle : Puma, Asus, Rolex, Tag Heuer, Nissan et bien sûr Sony. Sony en veux-tu, Sony en voilà. Sony en écouteurs, Sony en walkman, Sony en Playstation. Sony, Puma, Nissan, rincez, essorez, recommencez.

Une fois qu’il a été clairement établi que le film ne serait qu’une longue (très longue) publicité pour les produits japonais aussi subtile qu’un Panzer dans une synagogue, demeure la lourde tâche d’essayer de percevoir ce que le film veut véhiculer comme message. Et malheureusement, comme une Nissan sur un circuit allemand, ça va droit dans le mur.

La Revanche des Nerds, vu par Jason, quinqua Angelin, patrioto-Americain fuck yeah.

Il est nécessaire de s’étendre quelque peu sur l’équipe technique de Gran Turismo pour comprendre l’ampleur du désastre. Le film est dirigé par Neill Blomkamp, connu pour Elysium et District 9. Métaphore oblige, Neill c’est une Clio 5. Ça roule, on n’a pas envie de vomir quand on la regarde mais ça a le panache d’un paresseux sous Tramadol et une profondeur de type convexe.

Côté scénario, on ne l’a pas aidé puisque le script a été écrit par Jason Hall (connu pour American Sniper, glorifiant sous les traits de Bradley Cooper ce qui reste une belle ordure et un tueur en série labellisé « Sniper ») et Zach Baylin, connu pour rien du tout, ce qui lui vaut au moins l’honneur de ne pas se prendre une balle perdue dans ces quelques lignes.
Si le projet d’un film basé sur la franchise n’est pas récent puisque datant de 2015, ce n’est qu’en 2022 que le tout a pris son envol, Gran Turismo ayant été écrit, tourné, monté et post-produit en … 14 mois. A titre de comparaison, le temps moyen d’une production cinématographique est généralement de 3 à 5 ans. Autant dire que ça sentait aussi bon qu’un joueur de Smash Bros Melee en plein tournoi (un peu gratuit mais réel).

Mais cette temporalité réduite n’est pas le pire ennemi du film. Dupieux par exemple avec « Yannick » démontre qu’il est tout à fait possible de produire quelque chose rapidement et de qualité (éclipsant au passage le très oubliable « Fumer fait tousser »). Non, si j’ai choisi de m’attarder sur l’équipe technique c’est pour souligner à quel point, malgré une production 100% Sony, personne ne sait de quoi il cause quand il s’agit de jeux vidéo ou de courses automobiles, ce qui est quand même un peu con au vu du projet.

Ainsi, le film est un crachat à la gueule des joueurs, constamment affublés du sobriquet « gamers » ou « noob ». A aucun moment il n’est représentatif de l’état d’esprit des compétiteurs esport ou des Sim-racers. Chaque personnage est passé à la loupe déformante de la plume de Jason Hall et de la caméra de Blomkamp, deux boomers qui pensent avoir compris ce qu’est un joueur ou un pilote de course.

L'histoire qui nous est contée est celle de Jann Mardenborough, jeune britannique sans trop de projets si ce n’est conduire des bagnoles de courses, au grand dam de son père qui voulait le voir joueur de foot et qui n’aura de cesse de lui répéter que « les jeux ce n’est pas la vraie vie, faut te reprendre en main Johnny ». Pas de bol, fiston va contredire papounet, donnant au passage du fil à retordre à une génération de parents qui va devoir élever des tribus de Dylan, persuadés que leur talent à Call of Duty va leur valoir une place dans une équipe esport. Le réac est même poussé à l’extrême quand le père emmène Jann sur son lieu de travail, officiant comme technicien ferroviaire et où il lui sort dans le plus grand calme : « t’as vu où tu vas finir si t’arrêtes pas tes conneries ? ». Ah, vomir sur les prolos, ce bon vieux passe-temps de l’Alt Right.

Une fois passée la sélection dans l’équipe Nissan le film n’est qu’un enchaînement de gimmicks indigestes, d’arrêts sur image insupportables, d’incorporation de codes visuels vieillots qui, en plus de nuire à l’immersion du film, ne reflètent même pas la charte Gran Turismo !

Peu à peu, le long-métrage se transforme en un anti « Arcane » doublé d’un anti « Drive to Survive » alors même qu’il espérait ardemment cocher les deux cases. Là où les créateurs des deux séries Netflix avaient compris l’essence des matériaux à leur disposition, à savoir respectivement la richesse d’un lore et la passion des pilotes chevronnés, Gran Turismo réussi la prouesse de se planter à tous les niveaux.
Les courses sont mollassonnes et filmée sans âme, l’importance du simulateur est réduite à l’état de publicité et, plutôt que d’assumer le parcours, au demeurant exceptionnel, de Jann Mardenborough, nos deux boomers californiens ont choisi de lui inventer une vie, des antagonismes et des moments clés d’une bêtise faisant passer Marlène Schiappa pour une prétendante au prix Nobel.


Un poncif pour les gouverner tous.

Collectionnant les facilités de scénario comme l’adorable Louis, 8 ans et demi, collectionne ses cartes Pokémon, le film n’aura de cesse de verser dans la fainéantise au point de reproduire durant 2h15 les mêmes moments à l’image près :
- Jann doit se qualifier pour la GT academy, il arrive en retard mais gagne sur la finish line
- Jann doit être premier contre son rival de la GT academy pour entrer dans l’équipe Nissan, il en bave mais gagne à la finish line
- Jann doit être quatrième au moins une fois sur 6 courses pour avoir sa licence, il réussi à la dernière course, à la finish line.
- Jann doit être sur le podium au Mans, il bat son antagoniste principal… A la finish line.

Pendant 135 minutes, le film est une insulte à l’intelligence humaine, une insulte aux joueurs, une insulte aux pilotes, une insulte à la famille de la victime décédée en Allemagne, une insulte aux cinéphiles. L’affront est poussé jusque dans la bande-son usant et abusant de titres de Black Sabbath sur fond de montage rapide ou de Moby lors du podium du Mans pour tenter de créer, en vain, un soupçon d’âme dans une coquille vide.

Les défauts s’entassent et cette critique s’allonge alors je citerais dans le désordre :

  • Le montage aux fraises blindés de faux raccords
  • Un Orlando Bloom qui cabotine plus que Johnny Depp chez Tim Burton, ce qui n’est déjà pas banal
  • Des plans de drones Gerbotron 3000 sans saveur
  • Un love interest placé au forceps questionnant encore les rôles féminins dans les productions hollywoodiennes
  • La femme de Christian Horner qui joue aussi bien que Nadine Morano sous Lexomil
  • L’écriture en 3 actes qui ferait rougir Jonathan Truby tant le protocole est respecté à la lettre
  • L’humour pour adolescent prépubère joueur de Fornite vu par des boomers
  • L’incapacité à faire ressentir la moindre empathie pour le personnage principal autrement qu’en rendant ses adversaires antipathiques
  • Etc., etc.

Tout est raté, de bout en bout, alors qu’il y avait pourtant à dire.

Alors oui, le vrai Jann avait fait du kart avant le simulateur, démontrant que ses parents se sont un peu impliqués dans sa passion et que ce n’est que par manque d’argent qu’il n’a pu être pilote de manière classique. Oui, il n’a pas gagné quatre courses au cordeau puisque de toute façon ça n’arrive quasiment jamais. Ah c’est sûr, le parcours est moins hollywoodien et pourtant, c’est une sacrée consécration un podium au Mans quand on vient des simulateurs. Personne n’y croyait, personne n’aurait pu l’envisager.
L’histoire se suffisait à elle-même, mais il a fallu que les gros canons en rajoute. Ironiquement, c’est quand le vrai Mardenborough apparaît à la fin du film (il a été sa propre doublure cascade) que le film prend un semblant d’intérêt. Si lui a tout d’un grand, on sait que Blomkamp est venu en touriste.

Samuel_C_
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le 16 août 2023

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Samuel_C_

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