Débarquant enfin dans nos salles après avoir traîné quasiment un an dans les festivals, "Grave" se doit d'être découvert sous un œil ignorant toute la hype qu'il traîne derrière lui. Non pas qu'il ne la mérite pas, certes mais il faut malgré tout reconnaître à ce premier long-métrage de Julia Ducournau qu'il comporte de nombreuses maladresses, de bonnes idées un peu maladroites, quelques scènes un peu bancales. Mais c'est un film sacrément couillu qui fait tâche dans le cinéma français et ça fait du bien. Revendiquant haut et fort son affiliation au cinéma de David Cronenberg et ses envies de genre, Ducournau se lance donc à corps perdu dans son film quitte à parfois manquer de recul sur le résultat final qui se donne parfois l'air de péter plus haut que son cul. Cela dit, Ducournau a raison de brandir haut et fort son film : il faut que des films comme "Grave" puisse exister dans le paysage cinématographique français, non seulement on peut le faire mais on en a besoin, on a besoin d'être secoué, de laisser les corps s'exprimer et de sortir de ces salons parisiens où des bobos devisent sur la vie en racontant leurs petits malheurs. Pratiquant un cinéma organique, Julia Ducournau nous fait donc suivre le parcours de Justine qui rentre en école de vétérinaire. Elle qui est végétarienne, elle va devoir manger de la viande crue durant un bizutage. Dès lors, les réactions de son corps ne se font pas attendre et quelque chose en elle. On pourrait bien évidemment s'amuser à jouer les psys et à pousser à fond la carte de l'analyse intello pour faire un parallèle entre le corps d'une jeune femme qui change et sa découverte du cannibalisme (car oui tout le monde le sait, il s'agit bien de ça) mais on préférera se concentrer sur la réussite d'un tel film, jouant aussi bien la carte du gore que celle de l'humour tout en réservant quelques surprises, faisant du cercle familial un endroit carrément angoissant.
Jouant sans cesse sur les codes du genre, déjouant parfois nos attentes pour mieux en combler d'autres (cette séquence de l'épilation et du doigt tranché qui s'ensuit est magistrale), "Grave" est un film parfois bancal mais qui y va à fond sans jamais avoir l'envie de nous épargner quoi que ce soit. Ducournau s'y montre comme une réalisatrice appliquée, très à l'aise sur la forme de son film qui livre de sacrées séquences chocs. On sera plus circonspects sur les quelques facilités d'un scénario qui tourne parfois en rond mais on saluera la direction d'acteurs totalement incroyable. Car "Grave", tout aussi imparfait qu'il soit, ne marque pas seulement la naissance d'une cinéaste à suivre avec intérêt, c'est aussi la naissance d'une actrice tout bonnement hallucinante en la personne de Garance Marillier. Celle-ci, complice de Julia Ducournau depuis ses débuts, se montre suffisamment à l'aise devant la caméra pour tout se permettre. On la voit fragile, perturbée et prédatrice. On la voit aspergée de sang ou de peinture. On la voit nue, on la voit bourrée, on la voit en train de se faire vomir ou même en train de rentrer en transe (dans une scène de sexe hallucinante) et elle crève l'écran à chaque plan, offrant une prestation remarquable de justesse, passant sans cesse d'un extrême à l'autre. Saluons donc l'audace d'une réalisatrice et d'une actrice qui proposent quelque chose de sacrément osé et qui se permettent quasiment tout pour mieux nous choquer, nous interloquer, nous renvoyer à nos propres questionnements et ce jusqu'à la toute dernière révélation. Saluons "Grave" tout simplement parce qu'il existe et qu'il est irrésistiblement attachant aussi bien qu'il peut parfois se montrer agaçant. Une chose est sûre, s'il va lancer la carrière de sa réalisatrice, ce n'est pas dit qu'il lance des vocations de vétérinaires...