Avec Hacker, Mann dessine une nouvelle cartographie, construit un nouveau territoire dans lequel les règles sont transformées et les frontières supprimées. Il redéfinit un réseau de circulation, construit un nouveau maillage. A l’image de la séquence d’ouverture du film il donne à voir un monde factice qui n’est plus qu’une image virtuelle à la fois proche et totalement déformée du réel, un monde à l’état gazeux, flottant.
Ce faux plan séquence, le déplacement d’un flux virtuel construisant tout un réseau cybernétique, pouvant traverser le monde en un fragment de seconde, renvoie aux vues aériennes qui ouvraient le film Collateral.
Avec Hacker le territoire a changé d’échelle et de forme, les personnages ne sont plus que des petits points lumineux qui scintillent plus ou moins sur la carte et disparaissent en un simple clic.
Le fait que Mann s’appuie sur une intrigue quasiment dénuée d’intérêt renforce ces idées et permet une abstraction et une épure d’autant plus poussées.
L’intrigue est simple, voir simpliste, c’est une série B banale avec policiers, terroristes et pirates.
Par contre l’intérêt est de voir la manière dont le cinéaste remodèle son style et réutilise ses figures au sein de ce nouvel univers.
Ainsi Hacker est une prolongation parfaite, thématique et formelle, de l’œuvre de Michael Mann, et plus particulièrement de Miami Vice. Suite, relecture ou miroir, les personnages d’Hathaway de Lien et de son frère pourraient être les réincarnations de Sonny Crockett, Isabella ou Rico Tubbs. Mais davantage que de réincarnations il s’agit plutôt de reflets, tant les personnages ne le sont pas, incarnés. Plus exactement de fantômes, de ghostmen, comme le surnom que se donne Hathaway.
Des fantômes qui déambulent dans un monde désincarné.
Il y a quelque chose de très beau, et d’assez complexe, dans la façon dont Mann associe l’image du fantôme à celle du hors-la-loi, figure qui a toujours hantée l’œuvre de Mann. Complexe surtout dans le rapport ambivalent entre l’apparition et la disparition. Vivre au grand jour ou vivre caché.
Ainsi Hathaway et Lien forment un couple de fantômes qui poursuivent d’autres fantômes afin de tenter de réapparaitre, de reprendre chair dans le réel. S’ils réussissent leur mission, Hathaway pourra sortir de prison et ils pourront exister et vivre leur amour.
Mais ils sont, d’autre part, poursuivis par la loi et sont donc obligés de vivre cachés, comme des ombres. Et c’est la même chose pour les terroristes qu’ils poursuivent. Ils agissent dans l’invisibilité et l’anonymat et c’est cette absence qui les rend perceptibles aux yeux du monde réel. Avec eux aussi cette possible envie de se réincarner et d’exister réellement. « Je rencontre toujours mes associés ».
Les fantômes du présent sont également rattrapés par ceux du passé. Ainsi le 11 septembre plane au-dessus de tout ça, synthétisé par le personnage de Barrett, hantée par les évènements.
Au milieu de tout ça il y a cette figure récurrente des films de Mann, le coup de foudre, la naissance d’un amour fou. Il a toujours traité ça avec une grandiloquence et une flamboyance émouvante mais un peu niaise, presque kitch.
Ici cette histoire d’amour pourrait être l’élément qui raccroche les deux personnages au réel. Or là aussi ça ne fonctionne pas totalement, cet amour semble fabriqué, presque illusoire, par moments vrai, parfois factice, au début surtout.
Le film se termine sur deux séquences magnifiques, qui symbolisent parfaitement tout ce qui précède. Tout d’abord une séquence de la cérémonie religieuse à Jakarta où Hathaway doit rencontrer les terroristes.
Dans cette scène, Mann accentue d’avantage encore l’abstraction et l’esthétisme des images. Clairement il montre la confrontation entre deux entités. Les fantômes et le peuple. Les deux marchant à contre courant. Les fantômes remontant à travers le flux religieux, masse de couleur informe, glissant dans une foule qui ne relève déjà plus du réel mais du spirituel.
Enfin, dans l’ultime plan du film, le couple de fantômes, toujours en mouvement, se dirige vers la caméra. Ils franchissent les contrôles de sécurité d’un aéroport, totalement invisibles aux yeux de tous, mais marchent droit devant, main dans la main, paraissant vivre leur unité et leur amour dans l’indifférence du système. Ils fuient, jusqu’à devenir des formes de plus en plus floues et disparaître complètement.
Hacker retrouve la mélancolie des grands films de Mann, mais cet ultime plan laisse planer un doute, ni totalement désespéré, ni vraiment optimiste dans l’avenir de ses hors-la-loi.

Teklow13
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le 25 mars 2015

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