Halte
7.2
Halte

Film de Lav Diaz (2019)

Moi qui pensais ne jamais oser me jeter un jour sur Lav Diaz, Halte représente le 7ème film du philippin que j'ai vu à ce jour (comme quoi tout peut arriver). Et ce n'est pas un des moindres puisque cela faisait longtemps que je l'attendais. Diaz qui décide de faire de la SF, voilà qui avait de quoi me conquérir avant même de le voir. Il faut dire qu'il a souvent eu cette appétence de plonger le quotidien de ses personnages dans l'enfer dictatorial renvoyant bien sûr au passé d'une nation meurtrie par les restrictions liberticides, les guérillas meurtrières et les arrestations arbitraires allant jusqu'à se solder par des morts gratuites. Mais le réalisateur n'est ni là pour exprimer sa rancune, ni là pour émouvoir le public. Il préfère à cela l'humilité, la dénonciation avec distanciation de mise. Une pratique que j'avoue n'avoir encore rencontré chez aucun autre cinéaste.


Avec Halte, on tient certainement son scénario le plus ambitieux sorti à ce jour, même devant "Berceuse pour un sombre mystère" et "Death In the land of Encantos". Plongés dans l'enfer de 2031 qui a vu une série d'éruptions cataclysmiques, suivies par une épidémie de grand ampleur ayant tué des dizaines de millions de personnes, l'Asie du Sud-Est est plongé dans le noir le plus total sans aucune possibilité claire de jours heureux. Pour ramener l'ordre, la loi martiale a été réinstaurée par un régime totalitaire où chaque sortie en extérieur se solde par la rencontre de drones, renvoyant à la dystopie orwellienne. Son président Big Brother pris dans le délire stalinien de paranoïa est dépassé par les événements. Il ne voit aucune porte de sortie pour un futur meilleur. Il se sent trahi par l'Occident qui les a abandonnés à leur sort et les révolutions populaires pour le renversement du gouvernement ne font qu'accentuer les tensions sociales suffisamment graves au vu de l'inaccessibilité financière des produits de première nécessité.


Si Diaz filme quelques scènes de combat et d'exécutions sommaires, il aborde cette crise non pas sous l'angle explosif mais bien philanthropique. Les personnages filmés sont pour beaucoup des êtres désabusés se mouvant parmi une population qui est depuis longtemps résignée. D'une certaine manière, il filme l'adaptation de l'être humain en situation de crise, capable de vivre dans les environnements les plus austères. Un patriotisme glorieux, saisissant qui ferait passer le nôtre pour une aimable plaisanterie. Que cela soit des artistes, une psychologue, les toutous du régime politique, des résistants ou bien de simples quidams, ils sont mus par la même puissance face aux éléments. Malgré la colère de Dame Nature, ils sont affaiblis mais bel et bien toujours là. On ressent à travers cette fresque l'amour de Diaz pour ses Philippines adoré qu'il clame haut et fort avec une passion dévorante et touchante à nos yeux. Diaz offre une véritable performance en faisant de Halte son film le plus sombre mais également le plus puissant en terme d'espoir.


Cette obscurité n'est pas seulement la résultante d'une politique allant à l'encontre des droits humains les plus élémentaires mais bien de son environnement. Manille est un cloaque à ciel ouvert où il vaut mieux vivre à l'extérieur qu'à l'intérieur pour échapper à la doctrine "Big Brother is watching you" où ils sont sommés de montrer spontanément leur carte d'identité à ces démons volants. C'est peut-être pour ça qu'il y a une prédominance de scènes se déroulant dans des appartements, des hangars ou des chambres. Par ce procédé, Halte est une oeuvre étouffante, austère où la moindre bouffée d'oxygène ne semble être qu'une douce chimère. C'est sans doute pour ça que Diaz a fait preuve de pondération dans sa logique de scénario fleuve en réduisant la durée habituelle à un niveau moindre de """seulement""" 4h39. Pour les habitués, le temps passera vite, pour les autres, cela sera une autre paire de manche.


Seulement, il est évident que Halte sera une déception pour les esprits les plus terre-à-terre qui auraient aimé une étude géopolitique plus approfondie de la crise nationale interne. L'action est succincte mais a le mérite d'être présente. Et comme je l'ai dit, il filme l'Homme avant tout, ses comportements, ses errances et ses doutes. Halte est un film beaucoup plus rythmé (si ce n'est le plus rythmé) que ses prédécesseurs, moins contemplatifs. Après, je parle en habitué. Pour une personne non habituée, il est clair que le calvaire sera une triste conclusion.


Maintenant, même avec toute ma bonne volonté, je ne saurais conclure à une réussite totale. Pourquoi me direz vous ? Car dans ce climat anxiogène, il y a une absence de crédibilité du contexte environnemental. Je vais me mettre à parler en tant que scientifique mais dans la situation présente, la pluie devrait être noire et acide, l'oxygène dans l'air raréfié et la végétation aurait dû depuis longtemps avoir rendu l'âme. Même avec toute la bonne volonté du monde, jamais je n'ai réussi à y croire. Manque de budget, oubli ou simple métaphore ? Aucune de ces hypothèses ne justifie cela. Ce n'est pas pleurer à la carte du sensationnalisme mais bien parce que le décor post-apocalyptique ne pourrait en être autrement après 3 ans de nuits sans clair de lune. Comme je le dis souvent, le second niveau de lecture a ses limites et Lav Diaz y a un peu trop cru. Manque de pot pour les cartésiens. Toutefois, Halte n'en reste pas moins une réussite que l'on recommandera aux gens qui accepteront le style.

MisterLynch
7
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le 10 févr. 2022

Critique lue 46 fois

MisterLynch

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