La danse sanglante des fleurs embrasées

Sorti en 1997 et récompensé du Lion d'Or du meilleur film à la Mostra de Venise, Hana-bi est le film qui a définitivement mis Takeshi Kitano sur un piédestal en Occident et, est probablement l'œuvre la plus aboutie du cinéaste Japonais. Cela reste bien entendu un avis personnel, la richesse de la filmographie du monsieur ne mettra jamais tout le monde d'accord. Mais cet énième visionnage en 2018 ne diffère aucunement des autres et surtout pas de la première découverte, il y a 18 ou 20 ans. Rien ne change, le regard porté sur ce chef d'œuvre est le même maintenant que celui que j'avais lorsque je sortais doucement de l'adolescence. Cette atmosphère si étouffante, cette froideur omniprésente mais adoucie par les magnifiques mélodies de Hisaishi, ce montage avec ses flashbacks et ses changements brutaux de scènes, ses acteurs et surtout l'Acteur (et réalisateur) avec un grand A: Takeshi Kitano. Pas un mouvement superflu, pas un mot de trop; trois ans après son terrible accident, il revient face aux caméras. Ses spasmes musculaires au visage et sa nouvelle démarche chancelante feront de lui un acteur atypique, attirant mais néanmoins insaisissable. Avec sa bande habituelle composée de Ren Osugi, Susumu Terajima et Tetsu Watanabe, il joue le rôle de Nishi, un ancien policier très peu épargné par les aléas de la vie.


Et c'est peu dire, Nishi se fait méchamment malmené par la vie, comme s'il était traîné sur le bitume pendant plusieurs kilomètres avant d'être roué de coups et attaché à une chaise pour assister, impuissant, au malheur qui s'abat sur ses proches. Il perd d'abord sa fille avant d'apprendre des années plus tard que sa femme est atteinte d'un cancer en phase terminale. Pour subvenir à ses besoins, il continue néanmoins de faire son travail jusqu'au jour où trois de ses collègues sont victimes de la folie d'un meurtrier recherché: Horibe (Ren Osugi), son meilleur ami et coéquipier finit paraplégique et abandonné par sa femme et sa fille. Puis Tanaka (Makoto Ashikawa) et Nakamura (Susumu Terajima) se font tirer dessus sous ses yeux, laissant Tanaka pour mort. Nishi finit par quitter la police, s'endette auprès des Yakuza pour subvenir aux besoins et soins de sa femme et de la veuve de Tanaka. Imprévisible et violent, il reste néanmoins loyal envers sa famille et ses amis mais se retrouve rapidement sans un sou avec des Yakuza menaçants. Lui vient alors en tête l'idée folle de braquer une banque, déguisé en policier. Il fait ses adieux à sa manière à Horibe et la veuve de Tanaka avant de partir une dernière fois en vacances avec son épouse, Miyuki (Kayoko Kishimoto). Mais les mafieux et son ami et ancien collègue Nakamura sont à ses trousses… Pendant ce temps, Horibe trouve le temps long mais se découvre une passion pour la peinture en trouvant tant bien que mal l'inspiration autour de lui, dans la nature et les fleurs.


Mais tout n'est pas que violence et morosité dans Hana-bi, on y découvre également une nouvelle facette de notre ami Kitano. Campant souvent le rôle de Yakuza un poil aigri et macho, on le voyait rarement avoir des mots et des gestes tendres envers la gente féminine. Même dans Achille et la Tortue, il joue le rôle d'un homme obnubilé par la peinture qui délaisse bien souvent sa femme, sans oublier Blood and Bones et son rôle de père de famille violent. Ici sa relation avec Miyuki se rapproche beaucoup de ce qu'il a filmé dans A Scene at the sea ou du couple relié par un cordon rouge dans Dolls. Un amour silencieux, un peu distant, indescriptible pour nous qui sommes habitués à communiquer plus facilement, mais un amour sincère. On a rarement vu Kitano se montrer si patient et attentionné avec ses partenaires féminines à l'écran, qui avaient tendance à faire parti de l'arrière plan. Ils ont tout deux un profond respect l'un pour l'autre malgré la perte de leur petite fille qui a certainement du créer un vide profond dans leur couple. Le simple "merci" de Miyuki dans les dernières secondes du film, alors qu'ils ne se parlaient quasiment pas, suffit à exprimer ce qu'ils ont enduré jusque là. Un simple "merci" et une fin prévisible qui suffisent à nous tirer les larmes des yeux. Comme quoi il n'est pas nécessaire d'étaler des lignes de dialogues pour apporter l'atmosphère désirée à une histoire.


Le film se montre également très drôle parfois malgré la violence et la noirceur omniprésente. Nishi ne semble pas se poser énormément de questions avec les gens, il sait qui sont ses ennemis et qui sont ses amis. Il ne s'embarrasse pas avec les emmerdeurs et les mafieux, n'hésitant pas à tabasser subitement le premier qui ose manquer de respect à sa femme ou souillant ses affaires à l'image des deux ouvriers qui prennent leur pause déjeuner sur le capot de sa voiture; mais se montre extrêmement loyal et reconnaissant envers les gens qu'il apprécie. Se sentant coupable de la mort de Tanaka, il n'hésite pas à s'endetter pour venir en aide à sa jeune femme veuve. Il n'abandonne également pas Horibe en lui achetant le matériel nécessaire à la peinture que ne pouvait pas s'offrir ce dernier. Sa relation très drôle avec le ferrailleur (Tetsu Watanabe) offre également quelques scènes cocasses. En se montrant honnête et insolent dès leur première entrevue, il gagne ainsi le respect d'un homme extrêmement râleur et antipathique. Le sourire narquois de Nishi en dit d'ailleurs beaucoup sur cette amitié éphémère, un peu particulière.


Horibe à également une part importante dans le film. Très seul et lâchement abandonné par sa femme et sa petite fille, on sent également une fin prévisible et horrible pour l'ex-policier qui tente d'ailleurs de se suicider assez rapidement. Même s'il trouve une nouvelle passion dans la peinture, la solitude le ronge de l'intérieur petit à petit, ressassant même la perte de sa famille dans ses œuvres, à l'image de ce dessin représentant une famille heureuse au bord de la mer. Mais étrangement, alors qu'il passait des moments heureux avec sa famille avant l'accident, il se retrouve subitement seul. Contrairement à Nishi, qui au même moment, tente de rattraper le temps perdu avec sa femme dans un voyage sans retour. Des peintures qui sont d'ailleurs toutes réalisées par Kitano pour le besoin du film, une passion qui s'est manifestée après son tragique accident en 1994. Sa fille, Shoko Kitano, fait également une apparition dans la scène de fin sur la plage avec son cerf-volant.


Hana-bi, comme tous les films de Takeshi Kitano, est difficile à appréhender. Comme le caractère du personnage principal qui fonctionne d'une manière binaire, on aime ou on n'aime pas. Cette noirceur, cette histoire sans aucune issue ou happy end n'emballera pas tout le monde. C'est une certaine forme de poésie, un peu lugubre certes mais tellement bien maîtrisée qu'il est difficile d'en apercevoir le moindre défaut. L'acteur Nippon est parfait dans son rôle d'homme blessé par la vie, renfermé sur lui-même, il devient encore plus classe lorsqu'il troque son vieux parka de policier contre un costume noir et une paire de lunettes de soleil. Son compère, Joe Hisaishi, expose tout son talent avec des composition somptueuses telles que "…And Alone", "Painters" ou encore "Thank you…For Everything" . Une mélodie clôturant parfaitement l'histoire avec ses deux bruits assourdissants qui resteront à jamais dans les mémoires.

-Jun
9
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le 21 juil. 2018

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-Jun-

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