Il m'arrive assez souvent d'hésiter sur la note à attribuer à un film, mais jamais encore mon jugement n'avait autant balancé entre d'un coté l'analyse sèche de la forme et de l'autre la portée profonde du fond.

Dans la forme tout se justifie. Le film traite de la vie d'Hannah Arendt à un moment capitale de son histoire et souhaite aborder cela non d'un strict point de vue intellectuel et philosophique, mais au contraire en humanisant le personnage, en la plaçant dans son intimité la plus brute, sans fard. Ses amis, ses amours, son quotidien sont montrés avec justesse et sobriété. Si vous êtes un sectateur des torchons faisant leur beurre de la délectation morbide pour le voyeurisme passez votre chemin, le film a décidé de travailler sur la subtilité. Sa relation avec Heidegger, dont j'attendais avec une certaine impatience la mise en image, est plutôt bien faite mais manque un peu de substance. Entendez bien de la profondeur dans les dialogues et dans les descriptions des turpitudes de l'esprit qu'Hannah a dû supporter vis à vis de cette relation. Les scènes sont impeccables et néanmoins trop courtes pour livrer même un début d'idée sur les troubles que cela a causé. Cette critique est déclinable sur bien d'autres versants du film et on regrette finalement une trop grande sécheresse de ton qui nous empêche un peu de nous investir émotionnellement. C'est un peu dommage quand on sait le potentiel que possède les tranches de vie dans ce type d'oeuvre. La vulnérabilité d'Hannah est trop peu mise en scène. On la voit beaucoup l'esprit perdu dans ses réflexions, ce qui est très bien, mais de la même façon suivre l'impact progressif de l'affaire sur sa vie n'aurait pas été une mauvaise chose. On finit par être un peu catapulté hors du propos en suivant son « exil » et on commence, à mon sens, à la percevoir d'un peu trop loin à un certain moment. En somme, si Hannah était une personne froide et sarcastique en apparence force est de constater que le film est une transposition fidèle de ces caractères.

Sur le fond maintenant... c'est superbe et l'acmé du propos, cristallisé dans ce discours final, puissant, montre combien ce film devrait être davantage vu. Devant les analyses émotionnelles des horreurs des camps elle a tenté de creuser plus profond à travers la personnalité d'Eichmann afin de montrer le danger de ce qu'elle appelle « la banalité du mal ». L'idéologie terrifiante du IIIe Reich, mise en branle par des quidams sans envergures a de quoi troubler. Quand j'avais lu Des hommes ordinaire de Christopher Browning j'avais alors découvert ce fait historique ; là où il est rassurant pour l'esprit de trouver des monstres sanguinaires et fanatisés on voyait plus souvent de pauvres types, des pères de famille, simples rouages d'une machinerie déshumanisée. Le film montre puissamment l'incompréhension du public, juif en particulier, devant ses analyses, à peu de distance des événements, sans parler des agissements coupables au sein même du peuple juif. Tout cela arrivait décidément trop tôt, dans des sociétés traumatisées par l'horreur du génocide. Finalement la violence de la polémique manque un peu de substance... par choix ? Je ne sais.

Sans être un chef d'oeuvre c'est tout de même, je pense, un film à voir. Certain y trouveront de l'ennui, d'autres se laisseront doucement bercer par la lenteur du rythme ; en ces heures de trépidante activité je trouve que cela fait du bien. Il manque néanmoins un peu d'humanité dans cette œuvre et cela l'empêche de se distinguer vraiment.
Flavius_Constan
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 9 déc. 2013

Critique lue 343 fois

2 j'aime

Critique lue 343 fois

2

D'autres avis sur Hannah Arendt

Hannah Arendt
tambourinegirl
4

...ou comment rire seule au milieu d'une salle à moitié (vide ou pleine, choisissez votre kampf)

Avant tout, j'espère que vous avez remarqué le jeu de mots de mauvais goût que je viens de faire dans le titre. A présent, imaginez que tous les senscritiqueurs me tombent dessus à bras raccourcis...

le 1 mai 2013

19 j'aime

3

Hannah Arendt
turlututu
8

'La qualité humaine caractéristique qui consiste à pouvoir penser'

Parce qu’elle a indiqué dans une série d’articles au New Yorker que certains leaders juifs avaient coopéré dans les pays occupés par l’Allemagne (ce qui aurait eu pour effet d’augmenter...

le 12 mai 2013

12 j'aime

1

Hannah Arendt
mrArbre
6

Critique de Hannah Arendt par mrArbre

Je n'apprécie pas souvent les Biopic, qui survole beaucoup sans rentrer réellement dans les détails. Une mise en scène souvent romancée ou mal interprété de la vraie vie, qui n'est jamais aussi...

le 24 sept. 2013

11 j'aime

1

Du même critique

Claymore
Flavius_Constan
8

Manger des intestins, avec quelques légers spoiler

C'est tout à fait par hasard que j'ai découvert cet animé en passant en revu, l'oeil mis clôt, une liste interminable d'oeuvres manga. En lisant le synopsis je me suis dit que voir des nanas avec des...

le 1 nov. 2013

14 j'aime

Jurassic Park
Flavius_Constan
10

Un classique et en plus il y a des dinosaures (spoiler)

En 1993, encore tout gamin et passionné de dinosaures j'eus le plaisir de voir surgir sur les panneaux du cinéma de mon quartier, une affiche noire où s'étirait sur fond rouge l'inquiétante et...

le 23 août 2013

10 j'aime

5

Daria
Flavius_Constan
9

Dans tes dents!

Quelques traits épais, une animation minimaliste : il n'est guère besoin d'ajouter des fioritures quand on a du talent. Daria c'est une chronique sociale désenchantée qui piétine le rêve américain et...

le 6 oct. 2013

9 j'aime