Poudre aux yeux partout, révolution nulle part

On nous l’annonce comme une révolution, comme la petite bombe qui risque de faire basculer tout un pan du cinéma. N’en croyez pas un mot : Hardcore Henry n’est rien de plus qu’un pétard mouillé.


Hardcore Henry, comme tant d’autres films au postulat technique balbutiant, vient d’abord de formats beaucoup plus courts. Ilya Naishuller est un réalisateur et musicien russe qui s’est amusé pour « Bad Motherfucker », un des visuels de son groupe Biting Elbows, à tourner sa petite histoire musicale en caméra subjective, caméra au poing et violence au gun.


Bien aidé par un contexte technologique qui se prête à l’idée grâce à l’avènement des GoPro et autres techniques de montages numériques rapides à moindre coût, le clip devient rapidement un succès qui fait le buzz. Il n’en faut pas plus pour que Timur Bekmambetov, le réalisateur du déjanté Wanted : Choisis Ton Destin ne voie venir le pactole et insiste intensément pour qu’Ilya transpose son idée sous la forme d’un long-métrage.


Peu importe si, flatté qu’on place d’aussi grands espoirs en lui et surtout qu’on lui donne une telle enveloppe, Ilya Naishuller n’ait aucune idée en acceptant sa tâche de l’histoire qu’il va raconter, des procédés techniques à mettre en place pour le rendu final ni même de son casting. Côté costards, on lui promet que le résultat fera du chiffre, pour la simple et bonne raison qu’il est novateur.


On le place déjà comme un futur Eduardo Sanchez, le réalisateur de The Blair Witch Project, instigateur commercial faute d’être inventeur de la popularisation du found footage. Sauf qu’à force de s’y voir, le Russe a fini par oublier son processus de création, à partir en roue libre, quitte à transformer son projet en grand foutoir de fantasmes.


Promis, juré, c’est un film


Nous voilà donc partis découvrir les aventures d’Henry le couillu, comme il aurait été appelé chez nous. Ou plutôt, découvrir notre propre histoire. Ilya Naishuller a non seulement tourné son film intégralement à la première personne, mais il a également poussé le vice jusqu’à tout faire, dans le scénario autant que dans la mise en scène, pour que le spectateur devienne Hardcore Henry. Voilà donc notre personnage principal frappé d’un mutisme global, à jamais privé d’un quelconque reflet. Jusque là, pourquoi pas.


Forcément frappé d’amnésie, nous voilà nous réveillant dans une base scientifique où une jolie blouse blanche nous administre les dernières étapes de notre retour à la vie. En l’occurrence, une bonne dose de métal qui ferait passer Wolverine pour un produit 100% bio et une batterie au lithium à la place du cœur. Elle est blonde, elle est douce, elle s’occupe de nous comme maman dans ce monde de violence et de brutes et répond au doux nom d’Estelle (Haley Bennett) : la savante est donc notre femme. Sans blague.


Dans ces premières minutes de pellicule flux numériques, Ilya Naishuller se bat comme un beau diable pour nous (se ?) prouver qu’il réalise bien là un long-métrage, comme les grands. Promis, juré, c’est un film. Contrairement au rythme effréné inhérent au clip, le rookie cinéaste doit cette fois prendre son temps, créer son contexte, son univers, le tout dans un huit-clos. Il aurait presque gagné son pari, presque réussi un semblant de cohérence, s’il n’y avait pas cette furieuse impression que ces scènes servent davantage à gratter quelques minutes pour arriver à la fatidique barre des 1h20 plus qu’autre chose.


Promis, juré, c’est un jeu vidéo


On aurait presque pu vivre dans le bonheur le plus complet, si un vilain méchant ne venait pas interrompre notre reprise toute personnelle de l’utopie de ce matin-là. Il a un grand manteau de méchant, des yeux tous rouges de méchant et des cheveux blancs de méchant. Akan (Danila Kozlovsky) se veut psychopathe, direct, némésis, à l’image d’un Vaas dans Far Cry 3, merveilleusement interprété par Michael Mando. Ici, il ne sera que ridicule. Doué de pouvoirs télépathiques (?), le voilà nous terrorisant pour… heu… nos pouvoirs. Ou notre batterie. On ne sait pas très bien pendant le film, alors a posteriori… Dans tous les cas, le voilà capturant la princesse.


Tout ce qu’il y a à savoir, c’est qu’il faut suivre Jimmy (le très inégal Sharlto Copley), un étrange acolyte qui fait office de didacticiel, puis de mini-map, puis de joueur 2. De notre côté, on arpente plusieurs châteaux et on affronte différents boss avant de pouvoir enfin accéder au dénouement d’une histoire qui ne sert que de temps de chargement entre les différents niveaux qu’on nous propose. Côté ambiance, Hardcore Henry met les deux pieds dans la beaufitude. Quand les déferlements de violence s’arrêtent, on a droit alternativement à de la coke, des nichons, du scabreux ou des personnages secondaires russes dignes d’un Zap de Spion.


Il est là, le vrai élément gonflant de Hardcore Henry. Alors qu’il passait le plus clair de son introduction à essayer de prouver qu’il n’était pas qu’un clip étiré comme un string de Nicki Minaj un jour de buffet à volonté, voilà Naishuller se balançant entre différents types de jeux et les développant ad nauseam. Survie, baston, FPS, hack and slash s’enchaînent et débouchent sur un affrontement final à la manière des vieux Tomb Raider, face à une créature centrale, tentaculaire et verticale. On ressort de ce Hardcore Henry vidé, profondément en colère contre 90 minutes de beauferies qu’on nous vend comme « le futur de l’action ». Allez vous faire foutre, j’ai un match de foot.


Ah, et Tim Roth nous assène une leçon de vie, version père que je n’ai jamais eu. Ça sera tout.


Hardcore Henry parvient à nous décevoir alors qu'on y avait placé absolument aucun espoir. A deux doigts de la glotte, le film est trop pourri en sa chair, ne parviendra même pas à accéder à un statut de nanar par le sérieux qu'il essaie d'imposer, tandis que l'excuse de sa prouesse technique ne tient pas, ne serait-ce qu'un instant. Poudre aux yeux partout, révolution nulle part.

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le 14 avr. 2016

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