il est toujours naissant, disait Blaise Pascal. Je n'aime pas trop citer à l'imparfait, même les morts, ça fait mise en boîte. C'est pareil, j'aime pas voir le nom d'un auteur sur le tableau à la fac, ça me plonge dans une grande mélancolie. Je vois Molière écrit sur le tableau blanc, et je me dis "Voilà tout ce qu'il reste à la fin : des oeuvres, et du feutre". Le feutre parfois, question de budget ou d'organisation, n'a même pas la force d'aller jusqu'au bout du mot... on commence avec du noir ou du bleu, et on finit avec du rouge ou du vert. Et on ne sait même plus avec quoi souligner… Pour les grands penseurs, c'est kifkif, il ne restera à la postérité effective que quelques citations, du genre : l'amour n'a pas d'âge, il est toujours naissant, qui vaut bien celle sur le silence éternel des espaces infinis.


À partir de là, la fascination pour la mort tient moins d'un goût de la catastrophe, que d'une lassitude de tomber de haut chaque fois qu'on la croise. Disons que la regarder dans les yeux c'est la prendre de court, elle qui sera toujours en avance.


Moi je me dit que si l'amour est toujours naissant, il faut bien aussi qu'il soit toujours mourrant. L'amour serait un éternel retour à la vie, qui passe par la mort de nombreux sentiments, dont on tire des leçons, des souvenirs, et des perspectives déjà condamnées. Oui, il est dur dans ce genre de lucidité, pour celui qui cherche une osmose, de ne pas vouer ses ultimes pensées à la mort de toute chose, et donc de soi.


Peut-être vient-elle de là, la fascination d'Harold pour les enterrements et le suicide. À cela s'ajoute une curiosité pour cette frontière, au-delà de laquelle on ne sait rien. Cette frontière est le lieu de la rencontre entre les deux personnages, qui vivent la fatalité chacun à leur manière. Maud propose un optimisme étrange, angélique, pourtant à bout de souffle, à l'image de ce camion où elle vit, qu'elle a rempli d'inventions, qu'elle décrit aussitôt sous le jour de leur obsolescence. Il n'y a que comme ça, dit-elle, que l'on peut aimer les choses. Comprendre l'obsolescence des choses, sans les pousser pour autant vers la mort, et se fasciner pour tout ce qui pousse. Protéger sans retenir, voilà peut-être le travail du conservateur, qui se fascine pour la beauté de la conservation tout en en acceptant les limites potentielles, physiques et métaphysiques, du conservateur et du conservé, qui ne coïncident pas.


Si Maude, comme Harold, est probablement obsédée par la mort (on comprendra, le temps d'un tatouage furtif, qu'elle fut détenu dans les camps de concentration), c'est dans le rejet (tragique et courageux, héroique en somme, voir épique) du morbide. À un enterrement random, Maude aborde Harold : tsss... tu veux du réglisse ? C'est comme tu veux. Tu le connaissais ? Moi non plus. Il paraît qu'il avait 80 ans. Je les aurai la semaine prochaine. Un bel âge pour s'en aller, non ? À 75 ans c'est trop tôt, à 85 ans on ne fait plus que tuer le temps. On veut voir de l'autre côté de l'horizon [un cercueil passe avec marqué dessus "fermeture hermétique"]... Je ne comprendrai jamais cette manie du noir. On envoie pas des fleurs noires. Des fleurs noires, c'est mort. Qui enverrai ça à un d'enterrement ? C'est absurde !


C'est véritablement épique, car elle met son combat au service du collectif. Dans sa manière déjà, dit-elle, de lutter contre une sorte de fascisme ambiant qui tire les âmes (et même les morts !) vers le conformisme. Elle se sent fatiguée, alors sur ce point elle lutte à son échelle, dans le vol, dans le délit de fuite, dans le délit de replanter des arbres. Mais le collectif surtout par une astuce ultime, parce qu'elle va sauver Harold, trop près de la mort pour son âge.

Vernon79
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le 29 avr. 2019

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