La poésie a toujours su rendre dithyrambique les avis. Alors lorsqu'elle s'insinue dans une œuvre filmique et non un texte fait de mots, avec sa musicalité propre en pleine déviance face au cadre du lyrisme classique, on ne peut que détenir un ressenti unique. On peut rejeter la chose, l'exclure de tout intérêt, voguant sur les contrées d'un ennui mortel (bien qu'au milieu de rapides). On peut aussi aimer et n'y voir là qu'un doux pamphlet sur la paix, l'union sur la terre. Loin de moi l'idée d'aller critiquer la première émotion quand bien même est-ce la seconde qui me fait chavirer. Parler sabre et philosophie n'est après tout pas du goût de chacun. Personnellement tout cela m'inspire une grande et réelle sérénité, comme si une infâme guerre venait de s'achever et qu'il fallait dès à présent se souvenir de ce qui permettrait de ne plus la voir se répéter.


L'histoire semble simple au premier abord : Sans-nom, jeune épéiste au talent indéniable est reçu en la demeure du roi de Qin ; le royaume dominant de cette Chine éclatée. Dès lors invité dans la zone des cent pas par mesure préventive face à tout assassin au régime, le héros est venu apporter les armes des trois plus grandes menaces du suzerain : Ciel Étoilé, Flocon de Neige et Lame Brisée. Tous vaincus, Sans-nom peut à présent avancer jusqu'à dix pas du roi et lui conter les récits de ses exploits.


Ce qui va en préambule ressembler à une succession de flash-back aux allures de remplissage (car il faut bien donner de la chorégraphie défiant toute gravité et du combat aux spectateurs), s'échappe ensuite de son carcan et offrir davantage. Parce qu'on aurait pu craindre ce type de récit par trop cliché où l'on est obligé de tout vous raconter pour enfin arriver à la situation de départ ; sachant de surcroît notre héros vivant, cela n'encouragerait qu'une certaine lassitude et un manque d'enjeux. Or, la narration semble apprendre d'elle-même et s'amuser à brouiller les pistes. Ce qui nous est présenté comme une chasse à l'homme devient complot, et du complot nous partons bien plus loin dans l'intense réflexion autour du pouvoir et de son exercice.


Le film est sublime. Non pas qu'il soit parfait ou si transcendant qu'il vous ferait hurler dans les rues sa moralité, à en bâtir des églises. Néanmoins ce serait se montrer aveugle que de ne pas se sentir follement impressionné par son esthétisme. En plus d'un cadre et de plans respirant tantôt la toute-puissance, tantôt l'extrême beauté, l’œil se fait cajoler de couleurs lourdes de significations lorsque ce n'est guère cette armée de figurants disciplinés qui vous émoustille.


La couleur détient d'ailleurs un intérêt tout à fait particulier dans ce film :


Les passions internes, pulsionnelles, celles qu'on sait gavées des ressentiments humains, sont de rouge vêtues. C'est le feu.


Cette beauté pure, cette intelligence complotiste et ce sens du sacrifice se pare de bleu. C'est l'eau.


L'établissement de l'amour et de la confiance, cette force brute pouvant écraser myriades de soldats sur sa route porte du vert. C'est la terre.


Au milieu de tout cela il y a le noir, cette justice armée du sabre de Sans-nom, justice qu'on devine instrumentalisée par la vengeance. Elle est l'homme.


Puis vient le blanc et avec lui la paix, l'union. Elle est l'espoir d'un monde nouveau.


Il ne va s'agir ici que d'une simple interprétation personnelle que tout un chacun est libre d'adopter ou non (une seconde en lien avec les éléments du Taoïsme serait tout aussi probante si ce n'est plus).


Pour en revenir à l’œuvre dans sa globalité, je pense très sincèrement qu'il n'y a rien de plus à y voir que ce beau poème sur l'homme et sa nécessité de s'unir peu importe le sacrifice. Si cela s'accompagne de si belles images alors que demander d'autre ?

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le 23 avr. 2018

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Fosca

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