Il n'aura fallu qu'un simple film - et quel film - pour que l'excellent Ben Wheatley arrive à conquérir nos cœurs de cinéphiles endurcis : Kill List, trip paranoïaque et dérangeant qui démontrait déjà l'habileté du bonhomme avec une indécente maestria.
Une œuvre fascinante qui ne pouvait nous laisser indifférent.


Depuis, l'atypique cinéaste anglais a non seulement confirmer tout le bien que l'on pense de lui (Touristes, English Revolution), mais il s'est également hissé tout en haut de la liste des cinéastes européens les plus en vues du moment.
Logique alors, qu'il commence à attirer les gros noms - et les gros studios - sur sa propre personne.


Reste que le voir s'attaquer à l’œuvre tout aussi complexe (tout comme son cinéma) que dérangeante (tout comme son cinéma, bis) du grand J.G.Ballard, jusqu'alors tutoyer de près par Spielberg (l'Empire du Soleil) et de loin par Cronenberg (Crash, adaptation plus ou moins fidèle du livre éponyme), deux cinéastes au talent certain; avait de quoi nous allécher tout autant que de nous rebuter.


Rebuter, car non seulement les romans du Ballard sont difficilement accessibles et méchamment exigeants, mais surtout parce qu'imaginer le metteur en scène jouer le peu de sa notoriété sur un projet aussi bancal, relève purement et simplement d'un pari suicidaire - Cronenberg lui-même, à peiné pour se relever du scandale Crash.


Et tout comme le papa de Faux Semblants, Wheatley s'est mis en tête d'adapter un des volets de la trilogie du béton (le premier), High-Rise, satire sociale oppressante paru en 1975.
Mais pour attirer le spectateur en masse dans la salle, le Ben a une bonne secrète : un casting prestigieux, dominé par Tom Hiddleston - impliqué comme jamais -, et avec Luke Evans, Sienna Miller, Elisabeth Moss, Jeremy Irons ou encore James Purefoy en seconds couteaux de luxe.


Et il n'en fallait pas moins pour accentuer la potentielle vision d'une œuvre à part, sorte de Snowpiercer dans un immeuble tout droit sortie de Métropolis (comme le train du film de Bong Joon-ho, il correspond à une hiérarchisation de la société, plus la hauteur de l'appartement est élevé, plus le statut de son propriétaire l'est également), dérangeant et viscérale sur une poignée d'individu glissant peu à peu vers le point de non-retour.
Une adaptation fidèle sous fond de virulent must-see qui ne sera décemment pas au gout de tous...


Chronique dystopique et rétro-futuriste assimilant le progrès technologique et technique, le matérialisme ainsi que l'urbanisation comme source majeur du chaos (on retrouve la critique du consumérisme et du conformisme inhérent aux films d'anticipations des 70's), méchamment barré et bordélique à tel point qu'il en est follement jubilatoire; High-Rise est une authentique expérience sensorielle qui s'entête à constamment mettre à l'épreuve son auditoire au sein d'une intrigue pesante, presque insaisissable et au non-sens totalement assumé, magnifiant la décadence et le retour vers un certain instinct primitif de l'âme humaine.
Avec un savoir-faire unique, Wheatley et sa mise en scène totalement épurée, fait de son immeuble idéalisé un véritable protagoniste à part entière, " normalise " la folie de ses personnages tout en les déshumanisant peu à peu dans un univers ultra-libérale ou l'important est de s'éclater, peu importe la violence qui les entoure (même si celle-ci est plus souvent suggérée que montrée).


Portrait noir de la nature humaine référencé (on pense, évidemment, au merveilleux Brazil de Terry Gilliam), iconoclaste et agressif, joliment interprété par un casting qui lui est totalement voué - même si l'écriture empêche toute empathie à leur égard -; High-Rise est un moment de cinéma obsédant (bien aidé par le score immense du grand Clint Mansell) qui demande à son spectateur de totalement s'affranchir de toute appréhension et de littéralement se perdre dans une épopée asphyxiante, certes un peu trop étirée, mais définitivement marquante.


Un film radical et hostile de la part d'un cinéaste qui l'est tout autant, et qui trouve ici sans aucun doute, son plus bel ouvrage à ce jour.


Jonathan Chevrier


http://fuckingcinephiles.blogspot.fr/2016/04/critique-high-rise.html

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le 6 avr. 2016

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