Highway
Highway

Film de Deepak Rauniyar (2012)

Mosaïque népalaise sur roues

Film expérimental sorti en 2012 et réalisé par Deepak Rauniyar, Highway est le tout premier long métrage népalais sélectionné dans un festival international majeur : la 62e édition de la Berlinale.


Reflétant le contexte politique post-conflit népalais, le film suit un bus tentant désespérément de rejoindre la ville Katmandou, mais qui va se retrouver confronté à des blocus sauvages organisés par des grévistes. Ces barrages sont courants au Népal et peuvent parfois durer plusieurs semaines. Lorsque les passagers découvrent que les mariages sont autorisés à passer au travers des embouteillages, ils élaborent un plan pour mettre en scène un faux mariage.



Une fresque réaliste et vivante



Plus qu'un simple roadtrip au travers des paysages népalais, Highway explore avant tout la vie de ses passagers. Cinq relations interconnectées. Cinq histoires fragmentées qui reflètent chacune une facette cachée de la société népalaise. Monoj (Dayahang Ra) revient voir sa femme avec une potion anti-fertilité récupérée dans un village. Pooja (Shristi Ghimire) a du mal à composer avec son infidélité. Pratiek (Eelum Dixit), part à la rencontre d'un homme rencontré sur un internet. Radhika (Asha Maya Magrati) se rend à son mariage arrangé. Le chauffeur de bus (Rajan Khatiwada) apporte de l'argent à sa petite amie (Reecha Sharma) obligée de se prostituer pour payer les soins de leur fille.


Si Highway aborde beaucoup de thématiques progressistes parfois taboues au Népal (mariage forcé, homosexualité, infidélité, transsexualité...), il le fait avec beaucoup de réalisme et de sobriété. Les dialogues du film, largement improvisés selon les dires du réalisateur, renforcent ce ton naturel et authentique. La distribution hétéroclite, composée de stars 5 étoiles et d'acteurs non professionnels de tout horizon, y contribue également beaucoup. Les prestations de Dayahang Ra et de Reecha Sharma sont particulièrement marquantes.


On peut toutefois regretter un manque de simplicité dans le croisement des histoires; la structure de la mosaïque étant parfois excessive et artificielle.



De multiples "barrières"



L'intolérance, la culpabilité, le mensonge, l'éthique, etc. le film manipule intelligemment le thème des barrières qui ponctuent la vie de tous les jours; lui conférant ainsi une portée universelle.



"I would not only be able to explore physical bandhs, but also explore the mental/psychological bandhs that many of us seem to be facing these days." - Deepak Rauniyar



Rauniyar joue sur les temporalités tout en poursuivant constamment les parallèles entre le périple du bus et les histoires des proches basés à Katmandou. Les téléphones sont autant de moyens de liaisons fragiles qui marquent le rythme et le suspens. Pourquoi l'interlocuteur ne répond-il pas ? Que se passe-t-il à l'autre bout du film. ?


La fin du film peut paraitre abrupte, mais colle parfaitement au ton fragmentaire du film. Des intrigues se nouent et des questions restent en suspens.



Une technique quasi exemplaire



Techniquement, le film est très réussi et se positionne dans les standards internationaux. Rauniyar maîtrise sa caméra et sait mettre en lumière son casting.


À l'opposé des filtres jaunissant et des couleurs criardes qu'on voit habituellement sur ce type de production, la photographie pâle renforce l'ambiance réaliste.


La bande originale de Richard Horowitz accompagne bien le film. Mention spéciale pour la chansonnette interprétée par une jeune passagère; placée avec beaucoup de simplicité.


La seule ombre au tableau : quelques cuts mal placés.



Un OVNI qui divise au Népal



Le film est loin d'avoir fait l'unanimité localement. Pas assez d'action, trop compliqué, pas d'enjeu, pas de fin, trop court,... les critiques se sont vite accumulées sur les réseaux sociaux. Cela peut s'expliquer par l'écart considérable entre les attentes du spectateur lambda biberonné aux productions bollywoodiennes et cette tentative expérimentale qui casse les codes narratifs usuels.


Sorti la même année, le film Loot (critique ici) a lui réussi à proposer une recette différente tout en brossant ces spectateurs dans le sens du poil; s'imposant comme l'un des plus gros succès commerciaux népalais.


Par contre, une autre frange de la population, mieux éduquée au 7e art, a elle vivement salué l'arrivée du film qui a permis d'introduire le Népal dans l'arène internationale du Cinéma.


Avec un franc-parler digne du "Fuck the average viewer" de David Simon (The Wire), Deepak Rauniyar tranche vite la question :



“You have to think, you need to work, and you need to pay attention. They hated that. [...]Like it or dislike it, you cannot avoid it.”



Petit aparté sur son arrivée dans le milieu qui démontre encore une fois son profil atypique :



I was working as an editor in a national daily newspaper for the arts page. I often had arguments with filmmakers who furiously called about the bad reviews their films got, as they normally were bad copies of Hindi films. These conversations often ended with them challenging me to make films myself. So I started to get interested in filmmaking.



Notons également que film a connu une gestation innovante pour le Népal. Il a été financé d'un tiers sur kickstarter par 240 contributeurs qui ont engagé 33.647 $. Après sa sortie en salle il a été distribué en ligne via le service VHX TV.




Résultat de courses : j’ai pris beaucoup de plaisir à me laisser embarquer par le film ! Highway ne nous prend pas par la main et parvient à développer des histoires fortes et attachantes.


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GigaHeartz
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le 12 mai 2016

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