On aurait pu craindre un énième biopic, intéressant mais sans trop de charme. Ce genre de film passe-partout qui convient si bien au format télévisuel : une époque, un peintre, sa vie, son œuvre, ses frasques et ses femmes, sa grandeur et sa décadence, son génie, sa folie… Mais non, on est ici ailleurs, car tout se passe par petites touches évanescentes et picturales. Dans un déroulé elliptique, la quintessence du célèbre Maître de l’estampe ukiyo-e(littéralement « image du monde flottant » en japonais) se mêle aux origines de son art, comme pour rendre hommage à son inconstance (Hokusaichangea de patronyme pas moins de 120 fois !) et à la forme même de ses gravures, ayant inspiré les plus grands artistes contemporains et modernes, de l’Orient à l’Occident, à commencer par le mouvement impressionniste. On pense en particulier aux peintres du XIXe siècle, de Monet à Degas en passant par Manet. Souvent comparé à Hiroshige, exposé actuellement au Musée Guimet, celui qu’on surnommait « le vieux fou du dessin » avait une soif de création inextinguible, la volonté de renouveler sans cesse son art. Son exigence était telle qu’il jugeait n’avoir rien produit de bon avant l’âge de 60 ans et se réjouissait à l’âge de 75 ans des progrès qui attendaient encore son pinceau. Sa Grande Vague de Kanagawa, plus connue sous le fameux nom de La Vague, est aujourd’hui devenue la Joconde des Beaux-arts japonais. Sa reproduction est faite sous toutes les formes possibles. Tirée de sa série Trente-six vues du mont Fuji, elle représente des pêcheurs revenant de Tokyo, pris dans une tempête en arrière-plan. Cette œuvre majeure a renouvelé le langage de l’estampe japonaise, en y associant une « perspective » occidentale et la teinte du Bleu de Prusse. Son recueil de motifs, de paysages et de croquis variés, Hokusai manga, incarnation même du japonisme et de la célébration d’une nature animiste, demeure un objet de fascination pour les critiques d’art et musées du monde entier ! Dans le film, nous sommes rendus au début du XIXe siècle, durant l’ère d’Edo, en pleine dynastie des Tokugawa réputés pour leur pouvoir particulièrement autoritaire. Le Japon d’alors est un théâtre d’ardentes luttes politiques et la sphère artistique n’y échappe pas. Alors que le gouvernement lance une série de réformes conservatrices destinées à restaurer l’ordre moral au Japon (c’est un axe particulièrement fort et passionnant du film), contraignant nombre d’artistes à vendre leurs œuvres sous le manteau, voilà que le jeune Hokusai commence à se faire une place dans le monde des estampes et de la peinture. À voir ses ambiguïtés pour le moins jalouses et son irrévérence à toute épreuve, partant au quart de tour pour la moindre vexation, qui aurait pu imaginer qu’il trouverait un jour les ressources de contempler les vagues pour en saisir l’essence, de l’émulsion brumeuse à son mouvement de fougue? Et pourtant… En quête de la matière et de la beautéComme Michel-Ange comprenait la roche, ses veines, ses pulsations, le génie d’Hokusai lui permettait de dévoiler ce que recelait toute matière. Et c’est la force du film de montrer comment les propres sillons de l’artiste, ses contradictions, ses doutes, ses va-et-vient avec le temps, lui permirent de creuser son art, d’accentuer les signes, les écoulements à chaque surface d’objet, d’étoffe, de peau, au point de faire naître une sensation magique de densité, de relief. Avec un sens du montage impulsif couplé à une recherche humble de la beauté (des plans aux décors en passant par les costumes), le réalisateur Hajime Hashimoto restitue ce qui anime toute création et donne une forme atypique à une œuvre qui l’est profondément, et n’a pas de prix. Un régal du plus bel effet, qui invite à mûrir avec folie et spiritualité, tout en ne bafouant jamais ses convictions profondes. À lutter contre la médiocrité, la sienne y compris, et les injustices. À se réaliser, imparfait et présent.

John_May
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le 24 mars 2023

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John May

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