S'inscrivant dans la veine du sur-western, Hombre surprend son spectateur à plus d'un titre. Tout d'abord, parce qu'il ose aborder la question du génocide amérindien sans montrer, ou presque, les Indiens à l'écran. Ensuite, parce qu'il se joue avec talent des stéréotypies et des habitudes de ce type de production (il n'y a pas de scène d'action ni de personnage positif ou de happy end). Et enfin, par ce qu'il a la rareté des westerns nés à mi-chemin entre deux époques, c'est-à-dire entre les westerns « gentiment » pro indiens des 50's-60's (La porte du diable,* La flèche brisée*...) et ceux bien plus politisés qui verront le jour la décennie suivante (Soldat bleu, Buffalo Bill et les Indiens...).


Toute l'originalité du film de Martin Ritt réside dans son personnage principal, John Russell (incarné par un excellent Paul Newman), un blanc élevé parmi les Apaches. Alors qu'il aurait été commode de centrer son attention sur un ressortissant d'une minorité opprimée, Ritt fait porter son discours par un Blanc et se pare ainsi d'une redoutable impertinence : en héritant d'un hôtel, John à l'occasion de s'intégrer dans la bonne société américaine, ce qui reste la finalité du héros d'antan (cf le personnage de John Wayne dans La chevauchée fantastique). Mais en vendant celui-ci, c'est l'héritage de tout un pays qu'il décide de brader, c'est la figure traditionnelle du héros US qui vole en éclat. À la douce promesse du rêve américain, notre homme préfère la mémoire de tout un peuple, celui du peuple indien dont l'héritage culturel (symbolisé par son patronyme d'adoption, « Hombre ») ne sera jamais occulté par les attributs du modèle US (tenue de cow-boys, nom d'origine...).


Afin de souligner cette remise en cause du modèle américain, Ritt se réapproprie les standards du western classique et nous propose une relecture de La chevauchée fantastique de Ford avant de lorgner vers le Rio Bravo de Hawks. La vision de cette diligence lancée à travers les plaines de l'Arizona aurait tout de la ruée vers l'ouest, de la chevauchée vers un ailleurs meilleur, s'il existait encore des frontières à repousser et des pionniers pour rêver. Or, l'homme qui a partagé le drame des Indiens le sait bien, dorénavant il n'y a plus d'horizon à explorer ni de rêve à formuler, on ne croit plus en rien et surtout pas en l'homme blanc.


C'est donc à travers ce voyage que Ritt étaye son discours politique, renvoyant la société us à ses contradictions et à ses responsabilités. Comme dans le film de Ford, on retrouve à l'intérieur de cette diligence un groupe de personnages - des archétypes qui gagneront progressivement en épaisseur – qui sont censés être représentatifs de la société dans son ensemble : outre Hombre, on retrouve un couple de bourgeois, un truand notoire, une prostituée et un jeune couple symbolisant l'héritage à assumer. Les premiers dialogues laisseront peu à peu place au silence et à l'intensité des regards échangés : s'il y a conflit, il s'agit avant tout d'un conflit d'ordre moral, opposant celle des Blancs à celle des Indiens. John révèle ses origines en prenant la défense des Apaches et met à jour les desseins de chacun : corrompue, la bourgeoisie permet à la diligence d'avancer, la minorité, quant à elle, se retrouve mise au ban de la société (Hombre sera exclu du groupe, finissant le voyage aux côtés du cocher).


Alors qu'habituellement, le danger vient de l'autre (l'Indien), ici il se loge au sein même de la communauté WASP. C'est ce que souligne fort habilement Ritt en exaltant un danger insaisissable, pouvant survenir aussi bien de l'extérieur de la diligence (avec ces cow-boys cachés dans le paysage rocailleux) que de l'intérieur, avec ces truands manipulateurs et ces bourgeois qui se perdent en manigance pour sauver leur peau. Le regard que porte le cinéaste sur cette société américaine est impitoyable, questionnant les notions d'individualisme et de solidarité, mettant en exergue le racisme et les turpitudes de ces gens qui se disent pourtant civilisés.


Face à la médiocrité ambiante, John affiche sa misanthropie et son dégoût de l'homme blanc, contrairement au personnage immortalisé par John Wayne, il cherche moins à aider la société qu'à la rejeter. Seulement Ritt modère un peu son jugement et amorce, un peu maladroitement, le dénouement final à travers le personnage tenu par Diane Cilento. En miroir de John, elle va faire briller l'altruisme et la générosité, allant même jusqu'à fustiger l'absence d'empathie de ses semblables.


Il y a encore quelque chose à sauver chez ces Hommes aussi faibles soient-ils, il y a encore quelques motifs de réconfort à trouver dans ce désert sec et aride. C'est ce que nous indique en substance la longue séquence finale, qui voit le petit groupe, encerclé par des desperados, se retrancher sur le peu d'humanité qui leur reste. Face à la barbarie des blancs contre l'un des leurs, John est pris d'empathie et se sacrifie pour une cause qu'il pense juste à ses yeux. Un geste lourd de sens, notamment pour ce qu'il induit sur l'avenir symbolisé par le jeune couple. Malgré une gestion du rythme quelque peu hasardeuse, qui empêche le film de tutoyer les sommets, Ritt fait passer ses interrogations avec limpidité et pertinence, préfigurant la verve désenchantée des années 70.


(7.5/10)

Procol-Harum
7
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le 18 juil. 2022

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