Lettre ouverte à M. Alexandre Aja

"Cher Monsieur Piranha 3D,

Je me permets de vous adresser cette modeste contribution, témoignage de ma compassion face au naufrage cinématographique auquel j'ai assisté ce soir, en avant-première au Gaumont Champs-Elysées, en présence de Daniel Radcliffe, et de vous-même.

Je commencerai par dire que ce film aurait pu être. Plaisant, onirique, romantique, policier, effrayant voire drôle. Soi-disant "multiple, original et anti-conventionnel" selon vos dires, pourquoi ne nous propose-t-il qu'une vaste supercherie, un fourre-tout sans âme et insipide qui, sous prétexte d'être "libre de ton", ne convainc à aucun moment ?

Piste éventuelle : À trop vouloir toucher à tous les genres de films, Monsieur Aja, vous ridiculisez votre propos et vos acteurs en amassant, de surcroît, les clichés les plus éculés : les noirs en ont une grosse, les flics sont des homos refoulés, les femmes des personnes vénales et obsédées, les secrétaires ne demandent qu'à se faire prendre par leur patron, les prêtres qu'à faire des sermons et à crier "VADE RETRO SATANAS", les serveuses à gagner du fric en passant à Secret Story, et j'en passe.

Ensuite, pour la relecture bâclée des 7 péchés capitaux, si vous vouliez nous servir un "Seven" à la sauce heroic-porno-fantasy-pas-drôle, je me permets de vous dire, qu'il ne fallait pas vous donner cette peine. Quant à la morale bien-pensante sur le Bien et le Mal à grands renforts de flammes, de cornes, d'ailes, de serpents, de fourches et de crucifix dorés, c'était, si je ne m'abuse, fort dispensable, surtout avec des effets spéciaux dignes de la série "Charmed" des années 2000, façon "Trilogie du Samedi" sur M6.

Le rendu est tellement brouillon, exagéré et mal joué qu'on ne peut ni en rire, ni même en pleurer. En effet, je constate avec effroi que vous n'avez aucune notion de subtilité, de hors-champ, de symbolique ou d'un quelconque sens de la métaphore : le premier degré est maître des lieux, on nous montre tout, on nous explique tout, "suggérer" semble donc être un verbe inconnu de votre vocabulaire.
Cela étant dit, j'ai découvert à la fin du film que vous étiez le réalisateur de "PIRANHA 3D" (note à moi-même : "Penser à regarder la filmographie du réalisateur avant d'accepter une invitation pour une avant-première"), donc niveau subtilité, effectivement, il ne fallait pas vous attendre au tournant.

Pourtant, on aurait tout de même pu passer un bon moment, c'était le but et j'ai tenté d'y croire, sincèrement.
L'idée de départ d'un jeune homme se retrouvant avec des cornes démoniaques qui révèlent les penchants inavoués et inavouables des gens qui croisent son chemin aurait pu donner lieu à des situations intéressantes et complexes, dans les enjeux entre les personnages notamment.
Mais quand le cadrage, les dialogues, la musique et le jeu des acteurs vous expliquent et vous rabâchent systématiquement ce qui est plus qu'évident à l'écran, on finit par enfoncer des portes ouvertes avec des bulldozers et, par-dessus le marché, constater que tout est extrêmement prévisible.
Le coupable est démasqué dès sa première apparition à l'écran, l'acteur dégage une arrogance et une autosuffisance qui ne le rendent jamais convaincant dans son rôle de "gentil" meilleur ami. Ni cohérent ni abouti, on aurait par exemple pu trouver d'autres personnes ne voyant pas les cornes du héros, histoire de brouiller les pistes, mais c'était sans doute trop demander à votre scénariste.

Aucune surprise scénaristique donc, puisqu'on se cantonne aux 6 mêmes personnages stéréotypés et imbuvables, qu'on découvre enfants puis adultes :
- La Tête Brûlée de la bande : qui perd 2 doigts dans l'explosion d'un pétard et aime secrètement la copine de son meilleur pote ou le classique du meilleur ami jaloux et sacrifié qui devient méchant ;
- Le Caïd homophobe : forcément homo refoulé et flic frustré une fois adulte :
- La Sainte-Nitouche que tout le monde veut décoincer (Juno Temple) : petite amie idéale, virginale et chrétienne ;
- La Traînée de service : qu'on utilise et qu'on jette comme un vieux mouchoir, adulte elle est alcoolo, vulgaire, obsédée par les fellations et boulimique ;
- Le Grand Frère Timide et sans personnalité qui jalouse le cadet : le looser qui sombre dans la drogue et l'alcool ;
- Le Syndrome du Petit Nicolas (Daniel Radcliffe) : fils à Papa, à qui tout réussit et qui sort avec la sainte-nitouche.

De plus, votre scénariste est flemmard ET opportuniste car, plus le film avance, plus il se complaît dans une violence gratuite et gore (viol et meurtre sordides, décapitation, pénétration incongrue par serpents...), comme s'il fallait justifier le final complètement grotesque qui se termine sur un sacrifice à moitié christique face à un "méchant" archétypal et schizophrène qui, de toute façon, n'a jamais trompé personne. Donc pour le twist final, il faudra aussi repasser.

Enfin, la tentative manquée de "déniaiser" l'image lisse et sage du Petit Potter en le faisant passer pour Satan en train de se taper Juno Temple ne sauve absolument rien : comme d'habitude, vous vous enfoncez dans votre éparpillement, comme le spectateur au fond de son siège, sous le poids de l'ennui et de l'agacement.

Le problème réside donc dans le manque d'attention portée à ce film qui, avec un scénario qui tienne la route et des personnages plus approfondis, aurait pu les rendre déjà plus "attachants".
Car pour nous embarquer dans une enquête policière sur le meurtre de la petite amie angélique, encore faudrait-il que le spectateur ait envie de deviner la suite, qu'il sente la souffrance du personnage principal, qu'il y ait un semblant de compassion pour sa peine ou bien qu'on puisse chercher le coupable en ayant l'impression qu'un réel jeu de piste se met en place sous nos yeux.

À la rigueur, tout tourner en dérision de manière franche aurait eu le mérite de placer le film sous le signe de l'humour, mais, par définition, ici le premier degré se prend bien au sérieux : c'est donc censé être une enquête, un thriller, un drame, une romance (?), une propagande anti-drogues (?), un film d'épouvante et d'horreur, de science-fiction et d'aventures, ou juste un film... qui s'est perdu en cours de route et nous avec.
Alors 2 étoiles pour avoir vu Daniel Radcliffe signer des autographes, sourire et tenter bravement de présenter son film à vos côtés, face à deux "chroniqueurs" de NRJ12 même pas capables de traduire 3 phrases quand la salle, elle-même, riait aux blagues du comédien (mais pas à celles du film).

De fait, si "Horns" se résume à un simulacre d'enquête à la "Souviens-toi l'été dernier j'ai violé et tué ta copine mais tu as des cornes magiques et tu vas te venger", je comprends mieux ma frustration et mon ennui profond.
Cependant, en ce qui concerne votre avenir cinématographique, cela restera pour moi une énigme à laquelle je me garderai de répondre, en évitant vos films désormais."
Anomaliza
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le 17 sept. 2014

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Anomaliza

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