Il y a trois semaines, j’ai rencontré une art-thérapeute avec laquelle j’ai donné une conférence à l’université de Brest pour illustrer le pouvoir salvateur et curatif des mots auprès des étudiants. Des mots à étendre, des mots à entendre, des mots à vrombir, des mots à dire, des mots à écrire, des mots à cracher, des mots à psalmodier. Ces lignes que je noircie, je les rédige pour éclaircir mon esprit, remettre du soleil dans mes yeux, injecter de la vie par intraveineuse parce que le dernier film d’Olivier Nakache et d’Eric Toledano m’a fortement impacté.


Jouant de l’expression polysémique du titre de leur film Hors Normes, les réalisateurs des probants Intouchable ou du plus léger mais pas moins réussi Le sens de la fête dépeignent le quotidien de gens hors normes. À Paris, depuis des années, deux associations non homologuées prennent en charge des cas autistiques très complexes et violents. Travaillant de pair, l’association dirigée par Bruno (Vincent Cassel) et celle de Malik (Reda Kateb) s’associent dans une union complémentaire d’urgence pour résoudre les problèmes auxquels font face ces êtres pleinement humains. Hors Normes sont ces jeunes déficients catégorisés, fichés, rejetés, balancés en dehors du cadre institutionnel puisque, au-delà de détruire leur environnement, ils se nuisent à eux-mêmes. Hors Normes sont les accompagnants, les deux gérants des associations joués avec justesse et humanité par Reda Kateb et Vincent Cassel mais pas seulement, puisqu’entourés par des seconds rôles merveilleux, qui sacrifient leur vie pour rendre possible celle des autres. Ce film prend le parti de ne pas être un film sur l’autisme mais sur l’environnement des personnes en situation autistique, ces accompagnateurs qui n’ont pas de vie de famille pour embrasser une vie de dévotion passée au chevet de celle des autres afin de la rendre plus vivable, plus vivante. L’administration, l’Etat et les professionnels qui sont démunis, manquent de moyen dans la prise en charge de ces cas difficiles trop souvent résolus par une médicamentation excessive. La grosse erreur de l’Etat n’est pas de ne pas réussir à prendre en charge ces cas difficiles mais c’est celle de ne pas le reconnaître et de ne pas essayer. Bruno l’avoue, il est démuni mais investit, 24h/24 l’écouteur de son téléphone dans l’oreille pour répondre aux besoins urgents des uns et des autres. Un jour, l’administration des Affaires sociales se pointe dans les locaux pour enquêter sur le bien-fondé de telles associations.


Caméra à l’épaule, le film ne cesse de tressauter selon les actions et réactions inattendues des crises qui s’annoncent chez les malades. La caméra hoquette, elle assimile les brusquement et imprime la délicatesse des autistes, leurs différences, leurs singularités et leur amour. Sans jamais n’en faire trop ni pas assez, articulant l’humour avec brio comme ils savent le faire, Toledano et Nakache tirent le signal d’alarme – dont celui du métro, grâce à ce film percutant, déstabilisant, plein d’amour et de vérités. À aucun moment les réalisateurs ne trichent, leur démarche est honnête et cela se ressent du début à la fin avec l’idée de donner de l’humanité aux personnes en situation d’autisme. En nous interrogeant sur leurs traitements, leur marginalisation, Hors normes nous renvoie à notre propre rapport aux personnes en situation de handicap, à nos interrogations sur notre identité, nos impératifs et la place de la beauté et de l’empathie dans cette société du classement et de la catégorisation. Hors normes est aussi un manifeste pour remercier l’ensemble des salariés et bénévoles des associations, ces gens du quotidien qui sont hors normes.

thomaspouteau
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le 24 oct. 2019

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