Hors Satan par Claire Magenta
Présenté à Un certain regard lors du festival de Cannes 2011, Hors Satan de Bruno Dumont n'est pas le cri d'un prêtre exorciste mais la profession de foi sur pellicule d'un homme de cinéma... à 24 images par seconde.
Un gars, un ermite priant au milieu de la nature, un mystique? La mer, des paysages, une lumière. L'homme, sans domicile, erre dans la campagne. Il dort à travers les dunes, vit de la générosité des habitants du village voisin. Exorciste, il chasse le démon du corps des jeunes filles et des femmes trop entreprenantes. Ange exterminateur, il tue, rosse les hommes dangereux et la protège. Elle, lui donne à manger, prie avec lui, le suit, avant que tout ne bascule...
Déjà à l'esprit du cinéaste lors de son premier long métrage, La vie de Jésus, cette étrange histoire d'ermite, continue de s'inscrire, bien qu'assumée timidement par son auteur, dans une filiation post-Bressonienne, comme pouvait l'être son précédent film, Hadewijch. Ainsi comme d'autres par le passé, Dumont s'éloigne du Christianisme et d'un quelconque prosélytisme pour se focaliser sur le sacré, un mysticisme athée, aux portes du fantastique.
Filmé en Cinémascope, sur la Côte d’Opale, entre Calais et Boulogne sur Mer, et photographié par Yves Cape, le fidèle chef-opérateur de Dumont, Hors Satan prend le parti de placer la mise en scène sinon au-dessus du reste, tout du moins comme l'élément moteur du récit. Le réalisateur avoue d'ailleurs avoir écrit son scénario à partir des paysages et de cette lumière, d'avoir en quelque sorte adapté l'histoire à son environnement. Une volonté de placer la nature, la végétation, les terrains au centre ; ces derniers garants d'une puissance selon lui dont la mise en scène et le travail visuel et sonore sont des éléments primordiaux (au risque de prendre le pas sur le reste?...).
Hors Satan se caractérise en effet par une richesse visuelle peu commune, une alternance de plans larges/gros plans par exemple, au service de l'émotion, du propre aveu de Dumont. Une beauté visuelle qui se suffirait dès lors à elle-même, les dialogues du film peu audibles étant qui plus est rares. Dumont offre un cinéma sensoriel brut, sans artifice, au risque de faire fuir les amateurs de sophistication? Pas seulement, car si le cinéaste propose un ascétisme cinématographique des plus pertinents, d'autres partis pris, connu depuis longtemps chez ce cinéaste ancré pour le meilleur (?) dans sa région du Nord-Pas de Calais laissent et laisseront sans doute encore longtemps perplexe le préposé à la chronique.
Au delà de la lenteur qui pourrait rebuter quelques-uns (mais qui correspond idéalement au propos et à l'aspect sensoriel voulu par Dumont), la volonté de mettre au premier plan la mise en scène et l'environnement dessert sensiblement l'histoire, celle-ci manquant par moment de substance ou paradoxalement d'abstraction. De même, si l'image que donne le cinéaste de sa région et en particulier de ses habitants est elle-aussi (toujours aussi) brute ; en ajoutant deux violeurs, un concours de gueules (cassées) et la peinture d'une région sinistrée, le bel écrin tend également à être légèrement déformé et peu engageant (avis que seul le préposé doit partager, le film étant finalement co-produit par la région nordiste!). Reste pour les habitués du cinéma de Dumont la fameuse scène de sexe "rugueuse", véritable "running gag" de sa filmographie, servie cette fois-ci par des paroles mémorables ("si tu veux, tu peux me baiser") par la routarde (forcément) possédée.
Hors Satan de Bruno Dumont n'en reste pas moins une réussite visuelle à défaut d'être totalement équilibré.