Si on fait le point au bout de la route "Hunger Games", on n'en dira pas grand-chose. On n'en dira pas grand-chose, mais on parlera de ceci : Katniss. Et de celà : le génie de l'analyse critique de la propagande.

Katniss c'est pas mal comme nom. Déjà. Mais c'est une fille banale somme toute. Joli minois, belles dents, fière allure. Butée. Pas une anti-héroïne au sens propre : on sent qu'elle a du potentiel. Mais la force de Hunger games réside dans le traitement qu'on lui accorde : Katniss est un pantin. Tout le long de la série - et j'insiste sur ce point parce que c'est génial - on suit un pion. Pas un roi (Finnick), pas une dame (Coin), pas un fou (Peeta), pas une tour (Haymitch) ni un cavalier (Gale). Un putain de pion.

A partir du deuxième épisode - le premier est très moyen même s'il pose les bases du jeu et de l'intrigue - chaque décision que notre héroïne croit prendre, chaque mot qu'elle formule, chaque flèche qu'elle décoche, chaque bouffée d'air qu'elle insuffle est le fruit d'une lutte d'influence dont elle ne prend conscience que pour s'y vautrer et l'oublier d'avantage. Rien dans sa conduite ne relève de son libre-arbitre. On aura rarement vu héros plus esclave de sa quête, rarement vu héraut plus asservi par les idées qu'il croit porter.

Ce petit pion n'agit en effet que selon les desseins contradictoires de ses maîtres, une dizaine de personnages au bas mot, qui exultent de trouver en elle l'incarnation de leurs fantasmes les plus variés. Porte-étendard d'une révolution qu'elle a embrasé (sans même s'en rendre compte), bouc-émissaire d'une caste conservatrice, symbole de courage ou d'outrance, son image est sans cesse ballotée, utilisée, dévoyée par les marionnettistes qui tirent les ficèles de sa vie. Ironie du sort, c'est sous le nom de "Mockingjay", oiseau au nom cynique, qu'elle devient l'outil des ambitions des uns et des autres. Elle qui pourtant n'a rien de cynique puisque le cynique est pour le moins conscient, réfléchi, critique. "Mockedjay" l'aurait mieux décrite. A quel moment met-elle le pied dans cet engrenage ? Impossible à dire.

La figure de Katniss nous donne à voir une formidable réflexion sur les médias et la propagande. Actrice d'une pièce qu'elle n'a pas choisi, elle voit chacun de ses mouvements épiés, interprétés et reconstruits dans cette société médiatique où le spectacle reste l'opium du peuple. Sa spontanéité, revêche ou tendre mais séduisante, est changée en dessein, instrumentalisée. Les exégètes scrutent la conduite que ses maîtres lui dictent sans qu'elle-même n'en comprenne ni le sens ni la signification. La presque docilité avec laquelle elle accepte la mise en scène de ses exploits ne doit pas être interprétée comme une volonté de sa part, mais comme l'automatisme avec lequel la machine se plie à la commande humaine. Sent-elle qu'elle peut choisir de se départir de son rôle ? Elle le réincarne avec plus de vigueur, pas par choix, qu'on se comprenne, mais par la force inexplicable d'une nécessité qu'on (qui?) lui impose. Décidément, "Hunger Games" propulse Big Brother dans les limbes en renvoyant dos-à-dos démocratie et totalitarisme, soulignant la vanité d'une telle fracture entre deux modèles où la politique est affaire de spectacle. Jouissif.

En fait, et c'est bien là le plus triste, les seules occasions qu'elle a d'exprimer les débris de liberté qu'il lui reste, c'est dans ses relations "amoureuses". Je mets des guillemets parce que ce n'est clairement pas l'amour qui guide Katniss dans ses relations les plus intimes avec le sexe mou. Même ça, aimer, elle ne comprend pas comment ça marche. Elle voit graviter autour d'elle deux hommes qui lui vouent une fidélité et une passion aussi extrêmes qu’incompréhensibles. Dépassée qu'elle est par cette idôlatrie qui confine au fanatisme, elle ne sait évidemment qui du brun et costaud Gale ou du blond et fragile Peeta choisir. Son papillonnage intempestif entre les deux - qui n'a pas l'air de déranger plus que ça les principaux intéressés - a tendance à considérablement nous irriter. Mais il nous montre à quel point cette jeune fille devenue un peu vite jeune femme est paumée. Au point qu'elle laisse le destin choisir lequel des deux bénéficiera de ses définitives faveurs : celui qui fait un faux pas est condamné. Et pour mielleux et indigeste qu'il soit, l'épilogue nous montre bien que même celui qu'elle choisit, elle en a rien à carrer. Une sociopathe je vous dis.

Mais mais mais ! (Parce qu'il y a un mais) Mais la force de cette héroïne réside dans la manière et l'obstination avec lesquelles elle porte le fardeau de sa servitude. Et ça c'est pas rien. C'est d'ailleurs ce qui nous permet de nous attacher tellement à elle ! (ça et le fait qu'elle soit incarnée par Jennifer Lawrence). Sans savoir où elle va, ni vraiment pourquoi, elle poursuit le chemin de croix que les autres s'acharnent à tracer devant elle. Au point que l'aventure, rocambolesque certes, n'est pas dénuée de toute morale : rien ne fait un héros que le hasard et les contingences. Et cette leçon est géniale puisqu'elle vient remettre en cause dix mille ans de récits bibliques, mythologiques, romanesques et comics sur la nature positiviste du héros : guidé, en quête, auto-construit, sinon maître de sa destinée, du moins acteur de celle-ci, libre, bref, héroïque.

L'héroïsme selon "Hunger Games" c'est être un pion, c'est de n'être personne. Et dans ce monde où liberté et aliénation ne forment qu'un, c'est la seule chose qui compte. Bravo !

Edit (09/11/2020, après avoir revu la saga intégrale) :

Après un nouveau et jouissif marathon (j'adore décidément cette saga), me voilà armé de nouvelles remarques et considérations sur "Hunger Games", qui viennent enrichir - et parfois nuancer - mon exceptionnelle critique.

Premièrement, je m'inscris toujours dans l'analyse d'une saga exceptionnellement bien ficelée quant à l'approche d'un thème ardu, casse-gueule et subversif : la dénonciation de la société du spectacle, l'inconsistance de la fracture entre dictature et démocratie au regard du totalitarisme de l'image, la critique d'une realpolitik dans laquelle tout régime verse une fois ses fondamentaux questionnés. Revoir Hunger Games aujourd'hui, pendant les derniers jours de l'ère Trump, en montre aussi l'actualité et la pertinence. Dans la Révolte, partie 1, President Snow n'invoque-t-il pas, mot pour mot, "law and order" ? Mais loin de tout angélisme, ce film montre aussi la bassesse, le calcul, l'ignominie même de ceux qui se revendiquent démocrates quand ils veulent faire aboutir "whatever it takes" ou "quoi qu'il en coûte" (des mots du moment) leur dessein.

Deuxièmement, je ne l'ai pas assez dit : au-delà d'un casting fourmillant, qui s'enrichit à mesure que le succès de la saga se fait ressentir (une dizaine de stars au bas mot), il y a des performances vraiment incroyables. Celle de Woody Harrelson, de Stanley Tucci ou d'Elizabeth Banks notamment. Mais surtout, surtout celle de Jennifer Lawrence dont la carrière explose à ce moment là. Quelle énergie dans le rôle (parfois à la limite de l'outrance mais qu'importe), quelle incarnation du personnage ! D'ailleurs, j'ai médit sur ce dernier. Certes Katniss Everdeen est un pion, mais c'est aussi un superbe parangon d'humanité et d'altruisme. Ce serait quand même dommage de passer à côté de ce qui fait l'essentiel de ce personnage : son total désintérêt pour sa personne, sa manière de toujours placer ses valeurs au-dessus du reste, et au-dessous des autres. C'est un personnage entier, positif, absolument charmant sous ses airs revêches. Je parlais d'indécision quand elle papillonnait entre Gale et Peeta, j'y vois maintenant une forme d'indépendance, de puissance à refuser à ces hommes le don entier de sa personne.

Et je reconnais avoir caricaturé Peeta : il n'est pas qu'un personnage subalterne. C'est un stratège, particulièrement intelligent, qui sent les situations, qui ne transige ni sur ses valeurs, ni sur ses objectifs, mais sait jouer des moyens qui sont à sa disposition pour les mener à bien. Un très chouette perso aussi.

Troisièmement, il faut bien le reconnaître, les deux derniers films sont assez moyens et desservent par leur longueur artificielle le propos que je loue avec tant de véhémence (call me crazy). Victimes de la même marotte hollywoodienne à diluer pour plus gagner (Harry Potter, Hobbit pour ne citer qu'eux), ils ont toutefois le mérite de mener à bout, sans se trahir, et même d'enrichir, la réflexion élaborée dans les premiers films.

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le 6 nov. 2023

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Fwankifaël

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