Il a déjà tes yeux: deux noirs, un couffin et un humour qui emporte tout sur son passage

À lire avec illustrations sur: https://branchesculture.com/2016/10/02/critique-avant-premiere-il-a-deja-tes-yeux-lucien-jean-baptiste/


Actuellement, Lucien Jean-Baptiste fait le buzz dans une vidéo hilarante dans laquelle il fait face au Président de la bien mal-nommé Radio Courtoisie. Un Président qui se positionne pour le bannissement de la musique nègre, « l’expression de l’âme des peuples congoïde » avec « leur obscénité latente ». Une vidéo totalement loufoque par le sérieux de ce triste sir et un Lucien-Jean Baptiste qui prend le parti d’en rire. Il faut dire qu’il rit si bien des clichés et de la haine absurde. La preuve avec Il a déjà tes yeux, nouveau bébé (et quel bébé) de l’acteur devenu réalisateur brillant. Un film vu en avant-première au FIFF et qui devrait sortir le 18 janvier prochain. Il nous a tellement donné la banane que nos zygomatiques en sont encore endoloris.


Paul (Lucien Jean-Baptiste) et Sali (Aïssa Maïga) ont tout pour être heureux: une fleuristerie qui respire les parfums du bonheur, un amour parfait et un petit cocon dont les travaux d’aménagement ont pris un peu de retard, il est vrai. Seule ombre au tableau? Cet enfant qu’ils attendent depuis si longtemps et qui, pourtant, ne vient pas. Les voies naturelles n’ont pas rencontré celles du seigneur et Paul et Sali se sont tournés, avec toute la confiance qu’on peut avoir quand une alternative est possible, vers l’ASE, organisme d’aide sociale à l’enfance prenant notamment en charge les adoptions. Le dossier suit son cours, il ne faut pas être pressé, et un beau jour le coup de téléphone tant attendu arrive enfin.


Et très vite il y a un nom pour couronner les espoirs les plus fous de Paul et Sali: Benjamin. Il est beau, poupon, avec un sourire déjà ravageur du haut de ses six mois… mais il est blanc, petite tête blonde aux yeux bleus! Le contraste est évident mais les deux parents n’en ont que faire… au contraire de l’assistante sociale, Claire Mallet (Zabou Breitman), qui va tout faire pour que cette « expérimentation » tourne court. « On peut aimer tous les enfants du monde mais ne pas être les parents de n’importe lequel d’entre eux. » D’autant plus qu’elle ne conçoit pas son boulot comme étant celui qui fera évoluer


Et, entre le regard des autres, les grands-parents catastrophés (Marie-Philomène Nga et Bass Dhem qui réfléchissent déjà à l’échange et qui, faute de mieux, voudraient qu’on renomme Benjamin… Lamine), les coups de main souvent désastreux de Manu (Vincent Elbaz), le Tanguy qui a le coeur sur la main; l’arrivée du petit Benjamin se déroule sur les chapeaux de roues. Et pour la vie paisible de cette petite famille qui vient de passer de deux à trois et entend bien former la « première famille Benetton », on repassera car c’est pas gagné!


Le générique aux couleurs pop annonce la couleur… de l’enfant. C’est vrai, des blancs qui adoptent des Asiatiques ou des Noirs, quel est le problème? Mais l’inverse, c’est beaucoup plus compliqué. Et si la difficulté d’avoir un enfant ou d’en adopter un n’est pas vraiment nouveau dans le paysage cinéphile, l’idée de Lucien-Jean Baptiste est déjà nettement plus (d)étonnante. D’autant plus que si le réalisateur a pris de la bouteille et de la confiance depuis son premier film « La première étoile », il a aussi réussi à garder sa frénésie, son entrain et sa folie qui réussit si bien à ce quatrième long-métrage. Sans oublier ce combat récurrent désarmant les clichés et les idées reçues par des répliques magnifiquement senties et quelques scènes cultivant le comique (et l’absurde) de situation. Et s’il faut bien dix minutes pour entrer dans ce film, le temps que les acteurs s’ajustent, la suite a tout d’un festival dans lequel ce casting d’enfer excelle.


Lucien-Jean Baptiste et Aïssa Maïga rayonnent, Zabou incarne à merveille cette peste qui veut retirer (sur fond de parodie de films d’horreur) aux heureux parents le bonheur qui vient de changer leur vie, Marie-Philomène Nga et Bass Dhem détonnent, Delphine Théodore crève l’écran… Mais, à contre-emploi, bien loin de ses rôles de beau gosse, c’est Vincent Elbaz qui bluffe tout le monde, en pétard et affublé d’une moustache, de dents jaunies et de lunettes absolument ignobles (ainsi que, souvent, d’un slip turquoise fluo qui ne donne absolument pas envie). Elbaz est tellement irrésistible qu’on pourrait croire que Philippe Rebbot n’était pas libre et que c’est Vince (on n’aurait jamais cru, avant ce film qu’il pourrait tout à fait convenir en frère de Rebbot) qui l’a remplacé au pied levé et en parfait déconneur. Comme dans cette confrontation jouissive et en plein chantier entre Zabou et Vincent qui pour le coup se surnomme Zlatan et prend un accent pas possible. On jurerait que, dans cette pièce poussiéreuse, le faux plombier-polonais incarné par François Damiens dans L’Arnacoeur va surgir d’un moment à l’autre. Jubilatoire, comme pas mal d’autres séquences, d’ailleurs.


Ajustant parfaitement les bons gros délires, les personnages truculents et les rebondissements cocasses, les punchlines féroces et quelques jolies métaphores, Il a déjà tes yeux ne ménage pas son fond, universel et conscientisateur sans être démagogue ni moralisateur. Par l’humour et un sens de la cadence, Lucien-Jean Baptiste risque bien de convaincre les irréductibles (qu’ils soient d’ailleurs d’un côté ou de l’autre de la barrière) de l’imbécilité des éclairs qu’ils jettent parfois sur les jolies différences qui composent notre société. Il a déjà tes yeux est mille fois supérieur au trop facile Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu? En démarrant avec un film aussi réussi, l’année 2017 s’annonce plus que prometteuse.

Alexis_Seny
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le 3 oct. 2016

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Alexis Seny

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