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[Critique à lire après avoir vu le film]

Dès la première scène, le ton est donné : Delia se réveille, se tourne vers son mari qui lui colle une grande baffe. Oui, comme ça, sans raison apparente. Nous voilà cueiilis d’emblée, à se demander à quel degré il faut prendre le geste. Idem lorsque Delia retrouve son amour de jeunesse : la caméra tourne autour du couple à 360 degrés, mouvement d'appareil très cliché qui s'achève sur les dents des deux amoureux pareilles à des chicots sous l'effet du chocolat américain qu'ils viennent de déguster. Plus audacieux encore, cette scène de coups assénés à Delia par son mari, montrée comme une danse légère, dont la naïveté est accentuée par la voix toute simple de Petra Magoni chantant sur la contrebasse de Ferrucio Spinetti - le duo de Musica Nuda. Telle est la singularité de ce petit film attachant : il oscille entre réalisme et embardées oniriques volontairement outrées.

Pour montrer le machisme à l’œuvre dans l'Italie des années 40, Paola Cortellesi y va à la truelle. Le pater familias est un tyran chez lui, qui ne cesse de traîner dans la boue tout ce qu'entreprend sa très dévouée épouse et fait pleuvoir sur elles les coups par centaines au moindre écart de conduite. A l'occasion, il ne dédaigne pas de recourir au viol conjugal, preuve qu'il l'"aime encore" selon lui. Il héberge son propre père, l'irascible Ottorino, qui regrette que son fils n'ait pas épousé sa cousine plutôt que cette Delia qui ose "répondre" - sans pour autant s'interdire une amicale petite main aux fesses à la réprouvée. Lorsque Delia constate qu'elle est moins payée qu'un jeune qui vient d'arriver dans une fabrique de parapluies, elle se voit répondre en toute simplicité : "normal, c'est un homme". Quant au jeune Giulio, le prétendant de sa fille Marcella, il s'avèrera être exactement de la même eau : la race ne s'améliore pas. Delia parviendra à faire capoter ce mariage, avec la complicité d'un G.I. qui avait un petit béguin pour elle.

En cachette, notre héroïne économise quelques sous pour que sa fille puisse aller à l'école : une partie des gains générés par son activité d'infirmière ou de couturière est glissée dans son corsage, le reste étant dûment remis au mari. Puisque son espoir d'émancipation, par le mariage de sa fille, s'est trouvé réduit à néant, pourquoi ne pas fuir le foyer familial, puisque c'est ce que lui suggère Marcella, affligée de voir que sa mère va jusqu'à s'accuser à tort d'avoir gâché des patates pour prendre les coups à sa place ou qu'elle parfume elle-même son homme pour qu'il puisse aller au bordel ? Pourquoi ne pas tenter d'échapper à l'emprise de cet homme, en se confectionnant un beau chemisier qui symbolisera son nouveau départ ?

D'autant qu'elle a reçu de son ex amoureux une mystérieuse lettre (car oui, au passage, la cinéaste nous indique qu'une lettre adressée nommément à la femme d'un foyer était un événement en 1940). Voilà qui va permettre d'orchestrer un joli suspense : Delia a ourdi un plan, avec la complicité de son amie Marisa, celui de fuir avec le beau Nino, en prétextant d'aller faire une piqûre. Seulement voilà, le vieil Ottorino a la mauvaise idée de casser sa pipe précisément ce jour-là. La nouvelle se répandra-t-elle avant que Delia ait pu quitter la ville avec Nino ?

Oui, hélas. Mais le film offre à Delia un sacré lot de consolation, assorti d'un twist savamment amené. "Il reste encore demain" avait lancé Delia. On pensait encore possible qu'elle fuie avec Nino, mais quel est cette foule de femmes qu'elle rejoint ? Et ce papier tombé par terre, découvert par son mari puis trouvé par Marcella ? Ce n'était pas la lettre de Nino mais une carte d'électrice. Notre héroïne n'aura pu fuir le cadre oppressant de son foyer mais aura semé une graine pour que l'Italie change. Un combat de l’intérieur, c’est encore mieux. Les femmes vont cesser d'avoir la bouche cousue, comme on l'aura vu tout au long du film. Pour voter, elles devront s'affirmer comme l'égale des hommes, en commençant par effacer le rouge à lèvres qui les assignait à un pur objet de désir.

Le message n'est pas subtil, Paola Cortellesi ayant souhaité montré que les hommes violents sont "ridicules". Les femmes aussi en prennent pour leur grade, qu'elles se crêpent le chignon dans des histoires de commérage ou rêvent naïvement du prince charmant. L'attrait indéniable du film tient au traitement choisi par l'actrice et réalisatrice : ses qualités formelles qui rendent hommage au néoréalisme italien (nombreux plans soignés dans un beau noir et blanc), l'humour distillé tout au long du film (exemple des deux morveux de la famille qui ne cessent de se montrer orduriers, ruinant les efforts de Delia et Marcella pour paraître un parti convenable face à cette famille de parvenus dont Giulio est issu ; ou de cette petite vieille venue veiller le corps d'Ottorino, dont personne ne sait qui elle est) et le recours à quelques anachronismes (le rap utilisé à la fin pour exprimer la libération de Delia). L'expressive Paola Cortellesi fait le reste. Un exemple réussi de passage derrière la caméra, que n'ont pas manqué de saluer plus de 5 millions d'Italiens. En France on a, semble-t-il, d'avantage fait la fine bouche. A tort.

7,5

Jduvi
7
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il y a 4 jours

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