Sept ans après le déjà bien plombant Dog Days, le cinéaste autrichien Ulrich Seidl était de retour sur les écrans avec son nouveau film de fiction Import Export. Une fois encore le réalisateur va porter son regard froid et clinique sur notre société afin de nous remettre le nez dans notre m..... monde.


Avec Import Export le réalisateur Ulrich Seidl décrit les trajectoires de deux jeunes paumés qui vont tenter d'aller trouver un bonheur illusoire en traversant une frontière, D'un coté on trouve donc Olga , une jeune infirmière en Ukraine qui ne trouve plus dans son maigre salaire suffisamment d'espoir pour l'avenir et qui va tenter alors l'aventure vers l'Autriche. De l'autre on trouve Paul qui lui est un agent de sécurité au chômage, étant bourré de dettes il va alors prendre la route vers l'Ukraine en espérant y prendre un nouveau départ. Dans cette douce illusion qu'ailleurs l'herbe est fatalement plus verte les deux jeunes gens ne trouveront finalement que la crudité d'un monde ou l'humain est devenu une marchandise comme tant d'autre.


Les influences majeures du travail de Seidl viennent de ses passions pour la photographie, la peinture et surtout le documentaire. On trouve donc fatalement dans ses films cette recherche d'une vérité brut et un soucis quasiment maniaque du cadre et de la composition de ses plans. Dans sa forme il faut noter qu'Import Export est un film qui comporte une multitude de plans fixes, lesquels sont souvent composé avec des lignes directrices quasiment immuables, On pourrait trouver de nombreuses signification à ses nombreux plans fixes mais ils sont avant tout une formidable expression du fait que Seidl pose littéralement son regard sur le monde et ses personnages. Poser la caméra comme on pose le regard c'est aussi prendre le temps d'observer les gens vivre et refuser aux spectateurs la possibilité de détourner le regard lorsque cela devient trop embarrassant. Le cadre et le composition chirurgicale des plans chez Seidl n'est fatalement pas gratuite et dénué de sens, il suffit presque de tracer les grandes lignes de composition pour comprendre à quel point Ulrich Seidl connait le sens de l'adéquation entre le fond et la forme. Le plus souvent on trouve le ou les personnages au centre du cadre, deux lignes de fuite distinctes, une ligne d' horizon le plus souvent bouché et une sorte de parallélisme au cœur même de l'image. On pourra trouver la démonstration fumeuse et l'interprétation poussive mais les deux lignes de fuites représente les départs respectifs des deux jeunes gens vers un autre pays avec cette recherche d'un avenir meilleur, le parallélisme symbolise cette même illusion chez les deux personnages qui vont finalement finir par se ressembler, concernant l'horizon bouché il se passe quand à lui du moindre commentaire. Le fait de retrouver toujours le personnage en plein milieu du cadre symbolise quand à lui notre difficulté à nous inscrire dans le cadre du monde qui nous entoure jusqu'à devenir un simple objet du décor.


Le titre se suffirait presque à lui même pour définir la société qu'Ulrich Seidl met dans la lumière crue avec son film. Cette thématique de l'humain devenant un objet le cinéaste va l'exploiter d'une manière formidable à travers le destin de ses deux personnages principaux. Par galanterie je vais commencer par le personnage féminin à savoir Olga l'infirmière d'Ukraine qui pour assurer des fins de mois un peu moins difficiles et nourrir son fils accepte sur les conseils d'une amie de faire des show érotiques sur internet. Le corps de la jeune fille devient alors un pur objet de plaisir que des voyeurs manipulent sans considération et tente de conformer à leurs fantasmes. Un échange complètement mécanique puisque les jeunes filles s'exhibant ne font alors que répéter des gestes et des phrases mécaniquement apprises pour exciter les hommes. Le corps d' Olga n'existe alors que pour et par la fonction qu'il est censé remplir celui d'un objet de fantasme et de désir. Ulrich Seidl renvoie alors à cette imagerie de plus en plus présente assimilant les filles de l'Europe de l'est à des objets de plaisir sexuelles au delà de toutes considérations humaines. Triste et sinistre réalité des choses, petit détails dans l'insignifiante dégueulasserie du monde, depuis le début de la guerre en Ukraine et l'afflux de réfugiés les recherches "Femmes ukrainiennes" ont explosées sur les sites pornographiques.


De son coté Paul lui aussi se forge un corps en adéquation avec la fonction sociale qu'il doit exercé, son long entrainement physique pour devenir vigile en atteste le corps ici ne doit pas être un objet de désir mais de crainte et de force. En partant de ce postulat de l'humain comme une marchandise Ulrich Seidl va alors lui appliquer des règles propres au consumérisme et au capitalisme. L'humain ne doit cesser de se vendre, s'offrir et s'acheter et cela à divers niveau et degrés durant tout le film. Les exemples de la déshumanisation sont nombreux dans Import Export comme ce stage durant lequel Paul ,alors au chômage, apprend à se vendre auprès d'un employeur et plus radicalement encore avec ses jeunes habitants d'une banlieue à l'abandon vendant des très jeunes filles en échange de quelques billets. Mais la scène la plus radicale et la plus dure du film reste sans conteste celle durant laquelle le père de Paul humilie et soumet une jeune fille à peine majeure à ses désirs juste par le pouvoir de l'argent qu'il possède. On trouve aussi dans le film une autre scène très forte concernant cette fois ci Olga qui officie alors comme femme de chambre au service d'une famille aisée. Dans cette scène la mère de famille devenant alors jalouse de la complicité naissante entre Olga et ses enfants va aller fouiller la chambre de la jeune femme avant de la licencier sans la moindre explication. Cette scène montre alors qu'en quittant sa fonction purement mécanique de femme de ménage, en n'étant plus seulement un objet fonctionnel mais aussi un être humain Olga perdait alors sa place dans la mécanique froide de cette micro société. D'une manière globale Paul et Olga sont deux êtres humains tentant de se battre dans un monde devenu trop matérialiste, capitaliste et froid pour eux, essayant de rester humainement vivants.


On reproche souvent à Ulrich Seidl son regard froid, pessimiste et provocateur sur la société alors que le cinéaste ne fait finalement que nous tendre un miroir pour renvoyer l'image d'un monde au saut du lit avant qu'il ne se soit farder de couleurs pour cacher la misère de sa triste face. J'ai lu quelques critiques concernant le film reprochant le voyeurisme du cinéma de Seidl notamment lorsqu'il nous montre des vieillards mourants et oubliés comme des objets cassés au fond de leur lits d'hôpital. Cette réalité existe pourtant bel et bien et je ne comprends pas en quoi il serait malsain de simplement poser un regard dessus. C'est vrai qu'il y a chez Seidl une forme de rejet systématique à venir embellir les choses qu'il filme , il livre ses plans, ses histoires, ses situations et ses personnages de façon totalement brut avec un refus systématique de venir romancer le quotidien et une forme de renoncement de sa mise en scène (dans le sens d'arranger la vision des choses) dans sa façon de faire du cinéma, On pourra dire que c'est une forme de non cinéma puisque la mode est au tout Entertainement et qu'il faut distraire avant toute choses. C'est juste un cinéma différent tellement obsédé par un soucis à tendre vers la vérité qu'il refuse alors le moindre artifice qui pourrait venir le faire dévier. Import Export est un film difficile, oppressant, froid mais c'est surtout un grand film de cinéma tout simplement parce que Ulrich Seidl est un cinéaste à part et rare avec une vraie patte graphique unique, un univers, des obsessions, une intelligence et un regard particulier sur le monde?


Mais Ulrich Seidl est aussi et surtout un humaniste ,de ceux qui nous montre les travers du monde avec l'espoir que nous prenions conscience des sinistres zones d'ombre afin de tendre vers un peu plus de lumière et d'humanité.

freddyK
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le 14 mars 2022

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