C'est un film cinématographique difficilement identifiable. Bien qu'en soi la question n'ait pas tellement d'intérêt, il faut un certain temps pour comprendre si c'est un documentaire ou une fiction. S'il fallait trancher, on appellerait cela une docu fiction (ou l'inverse). Mais que regardons-nous, au juste ?


Des scènes filmées devant un écran vert, sans avoir gommé le dit écran, une histoire poétique contée avec des fines marionnettes suspendues par des bouts de bois, la réalisatrice et le casting du film assis à une table semblant attendre quelque chose (l'inspiration ?), des images de mouches souhaitant retrouver une liberté perdue, filmées par la réalisatrice lorsqu'elle était étudiante à Téhéran dans une école de cinéma des années auparavant, un homme d'origine syrienne racontant comment il est arrivé en Allemagne, et les nombreux viols qu'il a subi, des commentaires sur le montage du film que nous sommes en train de regarder, stoppant son déroulement net, de manière surprenante, le critiquant, interrogeant ses choix, ses images, ce qu'elle est ou non en train de raconter. In the name of Scheherazade or the first beergarden in Tehran, c'est tout cela à la fois, plus tout le reste.


La réalisatrice Narges Kalhor joue son propre rôle de femme iranienne ayant débarqué en Allemagne pour fuir la violence de son pays. Elle tente de créer un film sur le mélange de ces deux cultures qui sont maintenant les siennes, tiraillée par l'écart existant entre ces modes de vie opposés, à travers l'art de la bière, boisson qui aurait été inventée en Mésopotamie, l'Iran actuel, il y a 3500 ans, bannie aujourd'hui dans ce pays, sauf si elle possède moins de 0,5 degrés d'alcool, et qui est devenue un moyen de rencontre en Bavière, où on la consomme dans des lieux qu'on appelle des jardins à bière.


Dit comme cela, l'argument du film a l'air simple. Or, tout ceci nous est présenté via un collage un peu fourre-tout d'images racontant entre les lignes plusieurs histoires : celle, mythique, qu'on imagine provenant de Shéhérazade, expliquant d'où provient la bière, une autre, celle que l'on connait de l'Iran actuel, embrigadé dans la folie religieuse extrême suite à la Révolution de 1979, l'histoire du film en train d'être réalisé et monté et enfin ce que c'est qu'être un étranger ou une étrangère (d'origine iranienne) en Allemagne.


Comme une voix masculine décrit les images au milieu du film, "This isn't the way we are telling stories. It doesn't have storytelling. You are losing the audience". La force du film provient de la conscience affirmée de sa réalisatrice de déconstruire les principes conventionnels d'une oeuvre cinématographique, mais c'est aussi sa faiblesse. À force d'exposer ce savoir, cette crise créative godardienne à la Stardust Memories de Woody Allen ou Huit et demi de Fellini, elle nous perd un peu dans ce labyrinthe d'images et leur symbolique. Il reste néanmoins réjouissant de se faire balader ainsi et de réapprendre qu'un film peut être tout autre que ce que nous avons l'habitude de voir.

Cambroa
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le 29 janv. 2021

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