Juin 1999, « Matrix » ébranlait le monde du cinéma grand public en proposant aux spectateurs un blockbuster inhabituellement réflexif et complexe. Cela dit, plutôt que de se montrer incroyablement originaux, les frères Wachowski ont surtout été très malins en s'inspirant sans retenue du génie créatif de Mamoru Oshii. Il est évident que « Matrix » n'aurait jamais existé sans le chef d'œuvre d'animation japonaise « Ghost in the Shell » (pour ne citer que la source d'inspiration principale).
Plus de dix ans après, on constate que l'héritage de « Matrix » a essentiellement été visuel (on ne compte plus les réalisateurs qui abusent des ralentis pour leurs scènes de baston) et qu'aucun autre blockbuster n'a osé s'aventurer aussi explicitement sur le domaine de la philosophie. Alors « Matrix » n'aurait-il servi à rien ? Pas si sûr...
La comparaison entre « Inception » et « Matrix » est presque inévitable tant les points communs sont nombreux. Tous deux représentent le même défi : tenter d'introduire de la complexité dans l'univers ultra balisé et simplet des grandes productions hollywoodiennes. L'un comme l'autre brouillent la perception du spectateur en représentant un monde opposé à la réalité: la matrice pour « Matrix » et l'inconscient pour « Inception ». Mais bon, on vous rassure, la comparaison à ses limites. A part quelques similitudes avec le génial « Paprika » de Satoshi Kon (un autre film d'animation japonaise, tient tient), « Inception » nous paraît cent fois plus original que « Matrix » et contrairement aux frères Wachowski, Nolan ne semble pas pomper son inspiration ici et là. Enfin, il est temps de laisser de côté les outrageusement symboliques Néo, Trinity et Morpheus et de nous intéresser aux plus sobres Dom Cobb, Arthur, Ariane et Eames.

Il serait compliqué de faire un court résumé du film sans trop gâcher votre plaisir. D'autant plus que Christopher Nolan a bien pris soin de ne pas trop en dévoiler dans sa campagne de promotion afin de préserver un mystère pratiquement disparu aujourd'hui dans le milieu (rappelez-vous ce trailer d' « Avatar » qui vous résumait le film de bout en bout en deux minutes trente). On vous dira juste que Dom Cobb (Leonardo DiCaprio) est un expert dans l'art de voler les secrets des gens en s'infiltrant dans leur subconscient. Vous imaginez l'enjeu que peuvent représenter ses talents dans le domaine de l'espionnage. Ce n'est donc pas par hasard si Saito (Ken Watanabe, l'excellent général Kuribayashi des « Lettres d'Iwo Jima ») s'adresse à lui. Mais la mission qu'il entend confier à Cobb et à ses acolytes représente un défi bien particulier : il ne s'agit plus de braquer le subconscient mais d'implanter une idée dans l'esprit de son futur concurrent industriel. La tâche s'avère particulièrement délicate car, pour semer une idée dans un esprit, il faut s'aventurer au plus profond de l'inconscient de la victime. Ce genre de voyage n'est pas sans risque et personne ne sait ce qui peut se cacher dans l'esprit de chacun. Si Cobb accepte la mission, c'est qu'en cas de succès Saito pourrait faire jouer ses relations afin de lui permettre de retourner en toute légalité sur le sol américain où il est toujours recherché par la justice. Ouf, voilà donc pour le portrait général.

On ne vous cachera pas qu'« Inception » faisait partie des films qu'on attendait le plus pour cette année 2010. On ne vous cachera pas non-plus qu'on admire le travail de Christopher Nolan (mais bon, peut-il en être autrement ? Il faut avouer que pour l'instant, sa filmographie a la gueule d'un sans faute malgré le remake pas franchement nécessaire d'« Insomnia »). Et ma foi... Ce n'est en tout cas pas « Inception » qui nous fera changer d'avis ! Si le synopsis peut paraître un brin compliqué, le film s'avère être extraordinairement bien écrit (on rappelle que le scénario est de Nolan himself). Que ce soit thématiquement ou visuellement, il exploite à merveille le monde de l'inconscient : paradoxes spatiaux, distorsions temporelles, luttes inconscientes contre le viol de l'esprit, malléabilité de l'espace, rêve dans le rêve, regrets et culpabilité enfouis et refoulés, tout est justifié intelligemment et filmé avec une main de maître. On pourrait presque parler du premier blockbuster psychanalytique, la lutte entre Néo et les innombrables agents Smith de « Matrix » ayant cédé la place au conflit entre le Ca, le Moi et le Surmoi. Captivé de bout en bout, on prend un plaisir inouï à se perdre dans les limbes de l'inconscient et on sort de la salle avec un sentiment de vertige encore jamais ressenti. Seul petit bémol scénaristique, l'intrigue de fond (le conflit industriel) souffre d'un traitement bien trop rapide et se révèle finalement n'être qu'un prétexte à la mise en place du thriller fantastique. Dommage, Nolan ayant parfaitement réussi à rendre crédible son idée d'infiltration dans l'inconscient, le plus dur était fait et il ne s'agissait plus que de trouver une trame de fond un poil mieux construire et plus passionnante pour que le tout soit sans faille. De toute manière, « Inception » comportait déjà une faille de taille côté casting avec son inévitable french touch du moment : l'insupportable Marion Cotillard. Fidèle à elle-même et à son charisme de merlan frit, Cotillard est inexpressive, gourde au possible et entache une bonne partie des scènes de sa présence. Ajoutez à ça l'énorme bourde de Nolan qui a réussi à faire de (tenez-vous bien) « Non je ne regrette rien » d'Edith Piaf la chanson symbolique du film. Tout simplement inexcusable ! C'est d'autant plus regrettable que le casting avait tout pour être le plus explosif de l'année (ok, « The Expendables » mis à part) : les déjà cités DiCaprio et Watanabe accompagnés de Cillian Murphy, Joseph Gordon-Levitt, Tom Hardy, Ellen Page et Michael Caine sont tous au top de leur forme !

Bref, courrez voir « Inception » dès ce mercredi 21 juillet où vous risquez de manquer un des films de l'année, tout simplement ! Christopher Nolan nous propose du Cinéma comme on aimerait en voir plus à Hollywood, du grand spectacle avec un fond réflexif qui vous stimulera pour un moment.
Si l'Amérique craint que le film soit trop compliqué pour le grand public, il faut avouer que notre esprit a déjà été plus sollicité que pendant « Inception » mais on vous met au défi de nous trouver un film au budget si important qui relève le défi d'empiéter à ce point sur les domaines psychologiques et philosophiques. Après « Dark City » en 1998 et « Matrix » en 1999, « Inception » sera culte dès sa sortie et son expérience sensorielle et cérébrale vous marquera à vie.
Cygurd
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le 13 janv. 2011

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Film Exposure

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