Considéré comme un prodige générationnel, Paul Thomas Anderson passe de la nature morte (The Master) au lâcher du mors naturel avec cette adaptation. Il transpose l’univers de Thomas Pynchon, mystérieux écrivain, tisseur du Inherent Vice original. On jurerait du décalquage tant certains dialogues se font écho du papier à l’écran. Cette fidélité n’empêche pas des sursauts de fluidité. Le spectateur se perd entre les trips et la lucidité de Doc Sportello (Joaquin Phoenix, délicatement crasseux). Ce détective allumé, qui reçoit ses clients dans un cabinet médical, s’embarque dans des imbroglios cousus de bottes de foin. À force, marre du tintamarre. Surtout quand il s’ébat pendant deux heures quarante.
Au milieu de ce brouillard, Inherent Vice se calfeutre dans une ambiance encore plus épaisse. Des mélodies omniprésentes encrent un psychédélisme doux. L’intrigue s’étiole mais demeure légère grâce à des figures bariolées. Josh Brolin, le flic antagoniste de Sportello, tance la décadence avec un zèle réjouissant. La voix-off proposée à la narration, unique ajout de cette itération, cadre les divagations. Le réalisateur s’est assagi depuis Punch-Drunk love : ici, la mise en scène ne souligne pas les égarements de l’antihéros. En résulte un produit hybride aux péripéties en roue libre au creux de bornes ancrées. L’œuvre se rapproche d’une autre fresque de Thomas Anderson, Boogie Nights, qui dépeint fidèlement une atmosphère sans que son traitement s’en imprègne. Pourtant, Inherent Vice se bâtit sur les pavés de Mai 68. On regrette que la plage qu’ils surplombent reste sous l’égide d’un farouche maître-nageur.