Les frères Coen aiment beaucoup les personnages des ratés, les personnages qui, quoi qu’ils fassent, ne réussissent rien ; ils aiment être méchants avec leurs personnages qui sont méchant entre eux : Fargo, A Serious Man, No Country for Old Men, … Inside Llewyn Davis. Ici, ils ont fait ce qu’ils aiment. C’est surement l’un des films les plus pessimistes de notre génération. Et c’est ce monde cruel en tout point de vue montré avec poésie qui rend le film intéressant.

Avec Inside Llewyn Davis, les frères Coen on franchi un cap dans leurs cinéma de la méchanceté. Avant ca, ils avaient toujours gardés une part de bonté chez le protagoniste. Mais ici Llewyn Davis (Oscar Isaac) qui subit tant de mésaventure ne semble obtenir que ce qu’il mérite : pas de succès dans la musique, pas de logement, engrosser la copine de son ami, … Le monde est représenté comme un tourbillon d’antipathiques et de benêts, très légèrement nuancé seulement (et c’est d’autant plus touchant) par ce couple juif âgés chez qui Llewyn loge de temps en temps. Le monde est profondément sombre, tout le monde méprise tout le monde, tout le monde s’insulte, tout le monde trompe les autres. John Goodman représente souvent à merveille ce monde malade, ici encore : Roland Turner un héroïnomane, handicapé, intolérant. Les frères Coen font vivre à leurs personnages ce que ces personnages font aux autres. En faisant cela ils se tournent eux même en dérision créant l’humour grinçant dont ils ont le secret. Mais le tour de force réalisé ici, par Joel et Ethan Coen, est que, bien que Llewyn soit profondément antipathiques, on le prend en pitié, on éprouve même de l’empathie. Aussi peu flatteur pour nous que cela soit, on se retrouve dans Llewyn et dans ce monde d’insulte permanente.
Quoi de mieux pour représenter ce monde en tornade de venin qu’une esthétique lyrique, épuré et discrète. C’est un contraste très fort. Cette esthétique est d’abord et avant tout dut à une image aux teintes froides et claires. L’image transporte une légèreté qui permet à cette méchanceté ambiante de ne pas écraser le spectateur et finalement le faire rire. Oscar Isaac et Carey Mulligan (Jean Berkey) interprètent probablement les personnages les plus violents du film, mais aussi les plus séduisants. Ils sont même périodiquement accompagnés par leur musique extrêmement douce, augmentant encore le contraste entre le fond et la forme.

Cet effet de contraste entre le propos et l’esthétique du film est en soit exceptionnel car il donne tout un sens au personnage. Ce contraste donne une profondeur, une complexité au personnage. C’est en ca que les frères Coen signent une œuvre importante : sans ostentation (par ce que l’Odyssée du chat Ulysse n’est qu’un prétexte pour captiver le spectateur) et sans comprendre vraiment pourquoi, il nous font aimer ce qu’on déteste.

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le 5 déc. 2013

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Théo Madar

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