Que se passe t-il dans Institute Benjamenta, institut plongé dans l’expressionnisme allemand et dans des logiques oniriques ? Déjà, une arrivée, celle de Jacob, personnage insignifiant souhaitant le rester, voir exceller dans ce domaine en devenant majordome. L’institut est heureusement là pour mener ce désir.

Une géographie onirique

Sauf que les leçons se placent plus dans l’étrangeté que dans les techniques des maîtres d’hôtel. Il n’y a pas de maîtrise, seulement une et même leçon répétée indéfiniment. Chose curieuse, elle ne semble jamais avoir les même effets. Produisant une uniformité sur le reste des autres élèves, elle singularise Jacob, le rend unique dans ses gesticulations et dans ses phrases stéréotypées qui semblent bien trop particulières. C’est que Jacob pense et explore l’institut. Ce dernier semble contenir des réalités et des espaces hétérogènes, notamment dans cette scène où ce dernier explore un simulacre bien réel de sous-bois, intégré au sein de l’architecture de l’institut. On peut entendre de l’anglais, du français, de l’allemand, détail voulant souligner la prétention internationale – l’internationale des pays riches – de l’établissement, si ce n’est que ces langues finissent dans des chuchotements indistincts. Le sous-titre du film nous le suggère, nous sommes dans un rêve : ses bizarreries, ses allégories, ses rapprochements incongrus, ses lenteurs, ses imprécisions ; tout cela dessine une grammaire onirique.

Déplacements du rêve

Qui rêve alors ? Il y a une asymétrie évidente entre le frère et la sœur Benjamenta et leur élèves.. Jacob viendra renverser l’asymétrie en incarnant autre chose pour la fratrie Benjamenta. De là, on pourrait dire que Jacob est pris dans le rêve des Benjamenta, soit en tant qu’être d’une gentillesse extraordinaire, soit en tant que successeur. Cela ne se fait pas sans heurts, Deleuze nous le rappelle :

Le rêve de ceux qui rêvent concerne ceux qui ne rêvent pas. Parce que dès qu'il y a rêve de l'autre, il y a danger. A savoir que le rêve des gens est toujours un rêve dévorant qui risque de nous engloutir. Que les autres rêvent, c'est très dangereux. Le rêve est une terrible volonté de puissance. Chacun de nous est plus ou moins victime du rêve des autres. Même quand c'est la plus gracieuse jeune fille, c'est une terrible dévorante, par ses rêves. Méfiez-vous du rêve de l'autre, parce que si vous êtes pris dans le rêve de l'autre, vous êtes foutu.

Être rêvé par l’autre, c’est devenir l’objet de l’autre ou plus précisément prendre place dans le fantasme de l’autre. Mais dire cela, ce n’est pas rendre justice au film. On peut dire que le rêveur, dans son rêve, reprend des éléments de la vie diurne (des détails, des personnages) pour les incorporer dans le nocturne. Mais le rêve c’est plus que cela, c’est l’articulation de ces éléments sous une autre logique que celle de l’accumulation, la collection des événements. Le rêve ne se contient pas lui-même, énumérer ce qui le compose ne suffit pas à le saisir. Et il en va de même pour le rêveur : il n’est jamais conscient qu’il est le rêveur dans un rêve, conscience du rêve, mais il peut être à toutes les autres places que lui suggère le dispositif du rêve. Institute Benjamenta est tout aussi en transition que le rêve : tout se déplace pour la fratrie et pour Jacob. Ce dernier ne manquera pas de velléité pour rentrer dans l’intimité (les fameux appartements privés) de l’institut, mais une fois le secret atteint, un ailleurs sera pointé.

Derrière le rêve, rien

De cette circulation du rêve et de cette mise en défaut de l’objet du désir, la direction que prend le film n’est pas celle d’une restauration d’un sens qui serait perdu ou caché. La futilité des leçons de l’institut Benjamenta consacre le rien au rang d’objet. Ce n’est pas le rien en tant que vide, mais le Rien en tant qu’inexplicable, insondable, insaisissable (le personnage de Klaus, élève le plus formé, en est le parangon). Jacob rentre dans cet Institut avec pour seul but de pouvoir être utile, c’est-à-dire de pouvoir servir . L’apprentissage, l’école de la vie, ici c’est de passer donc de moins que rien à rien. Ce mouvement, quasi-négatif et laissant supposer une absence de mouvement indique bien la contemplation onirique, le moment où le rêveur ne fait rien, mais dans ce rien il se passe beaucoup de choses. Institute Benjamenta, c’est le triomphe discret des vies minuscules, c’est le minuscule kafkaïen où se passe les intrigues les plus importantes. Ainsi une scène où une coupure sur la paume de la main entraîne une chute de pommes de pins, révélant une détresse immense. Le rien concerne le rêve, le rien concerne la mort aussi. Une mort surviendra, mais elle sera une mort sans décomposition, une mort qui semble vivante pour l’éternité. Est-ce que le corps mort, imputrescible, arrive lui aussi à la hauteur du Rien ? Peut-être bien que oui, le rêve est éternel, la mort l’est tout autant. On finira par quitter l’institut, sur un ton mélancolique, pour se fondre dans la blancheur immaculée, indéfinie de la neige.

Il y a parfois plus de vie cachée dans l’ouverture d’une porte que dans une question

Je trouve pourtant ce que nous apprend Fräulen Benjamenta vaut la peine d’être su. C’est peu de choses et nous le révisons sans cesse. Mais il y a, peut-être, un sens caché dans tous ces riens

Heliogabale
9
Écrit par

Créée

le 26 juin 2022

Critique lue 111 fois

2 j'aime

Héliogabale

Écrit par

Critique lue 111 fois

2

D'autres avis sur Institut Benjamenta (Ce qu'on appelle la vie humaine)

Du même critique

L'Anti-Œdipe
Heliogabale
10

Perçée

Malgré son titre, ce livre n’est pas totalement contre la psychanalyse, et son sujet dépasse le champ de cette dernière. C’est avant tout une critique contre toute tentative de réduire le désir à un...

le 27 févr. 2014

24 j'aime

1

Pour en finir avec le jugement de dieu
Heliogabale
8

"Il faut que tout soit rangé à un poil près dans un ordre fulminant."

Pour en finir avec le jugement de dieu, est avant tout une émission radiophonique, enregistrée et censurée. Le texte est dit par Artaud lui-même, Roger Blin et Maria Casarès. Ces poèmes mélangent...

le 20 juin 2014

22 j'aime

Daydream Nation
Heliogabale
10

Crever le mur

J’exhume des textes que j’avais écrits (mais j’ai quand même réécrit quelques parties) quand j’étais un peu plus jeune. Daydream Nation m’avait fasciné, jusqu’au point d’avoir influencé la manière de...

le 9 déc. 2014

20 j'aime