Mettons tout de suite de côté la partie (en)chantée du long métrage : oui, c'est une comédie musicale donc oui, ça chante, beaucoup, presque tout le temps, mais non, ça n'est pas bien dérangeant. D'abord parce que les vocalises de Emily Blunt, Anna Kendrick, Meryl Streep et Johnny Depp sont dans l'ensemble très convaincantes, mais aussi et surtout parce que, dans l'absolu, la mise en musique des dialogues chantés de ce petit bijou décalé ne marquera nullement les esprits, dans la mesure où, à une exception près peut-être, aucun morceau ne se détache des autres, ne trouvant finalement son souffle qu'à l'intérieur de l'image. A aucun moment je ne me suis sentie pousser des ailes à l'écoute de la BO au point d'avoir envie de me la refaire "à l'aveugle". En vérité, une fois le prologue passé et la chorale identifiée, mon attention s'est portée d'avantage sur le contenu que sur la forme... et celui-ci recèle son lot de surprises.

Il y a toujours un décalage conséquent, parfois énorme, entre l'attente que l'on avait d'un film et la sensation que l'on éprouve finalement en le découvrant. Lorsqu'il s'agit d'une réelle déception, c'est surtout frustrant dans la mesure où l'on se trouve privé d'un plaisir longtemps espéré et probablement fantasmé à l'excès. Mais lorsque l'inverse se produit, alors, tout devient grisant et sensationnel. Curieusement, pour 2015, j'ai peu "d'attentes", à peine de brefs espoirs et, grâce à cela, je me retrouve dans un état de grâce cinématographique enthousiasmant depuis le début de l'année, puisque tout ce que j'ai pu voir jusqu'ici a dépassé - et de loin pour certains films - mes espérances. C'est le cas de Into the Woods qui a, au delà de ce que j'aurais cru possible, réussi à exploser le carcan caricatural dans lequel je le pensais enfermé dés son annonce.

En allant voir Into the Woods, on s'attend non seulement à un film choral (dans tous les sens du terme), mais aussi à une histoire (enfin... DES histoires) au charme désuet certes, mais chargée en niaiserie à l'excès, avec tous les poncifs dont souffrent le plus souvent les productions Disney. Le logo majestueux du studio gargantuesque fondu au noir, je me préparais donc à une plongée douillette dans l'univers ouaté des contes de fées... Or, c'est tout l'inverse qui s'est produit. Rob Marshall a passé au shaker - et non au mixer - quatre contes intemporels - Le Petit Chaperon Rouge, Raiponce, Cendrillon, Jack et le Haricot Magique - auxquels il a adjuvé un couple d'humbles boulangers frappés par une malédiction. Le fil rouge est rapidement posé, les enjeux de chacun des protagonistes identifiés, dans un cadre d'abord plutôt classique. On notera que l'on n'a pas affaire aux contes les plus "à la mode", mais à ceux qui, sans doute, trouvent un écho plus fort avec nos tracas contemporains. Dés lors, manipulés de loin par une sorcière à la recherche de la potion de jouvence, tous ces petits mondes vont se rencontrer, s'entrechoquer jusqu'à interagir plus ou moins subtilement les uns avec les autres. Et, à mesure que le temps file, le vernis craque et s'écaille, les faux semblants dont la première lecture de ces contes nous aveuglent volent en éclat, pour en dénuder finalement la nature implicite, profonde, et idéologiquement bien moins féerique qu'il n'y paraissait. Le loup est un vicieux gourmand lubrique, Cendrillon une jouvencelle indécise qui refuse de se confronter à un jugement de valeur et n'a pas le courage de ses choix, la boulangère une femme insatisfaite trop longtemps tombée dans l'indolence d'une vie sans passion, Raiponce l'archétype de l'enfant bridée par une mère castratrice, le Prince Charmant un insatiable conquérant du beau sexe se lassant de sa proie dés lors qu'elle lui est acquise... Loin de toute mièvrerie, on assiste finalement à une petite révolution, pas bien méchante, pas bien sulfureuse, mais parfaitement délectable au regard du genre, qui met enfin en ébullition une flopée de légendes initiatiques expliquées au plus grand nombre. Avec, évidemment, une morale indispensable au bout du conte, sans laquelle tout ceci ne rimerait finalement à rien, et qui porte en elle de bien jolies réflexions : existerait-il quelque chose à mi-chemin entre la banalité de notre quotidien et la démesure de nos rêves les plus fous?

Portée par un ensemble de comédiens réjouissants - dont la fantastique Christine Baranski, le discret James Corden, la désopilante Tracey Ullman... - cette satire musicale, véritable dramadie féerique, dépasse son seul support et transcende la teneur des histoires qu'elle porte en elle pour nous livrer une relecture agréable, tantôt déconcertante, tantôt à mourir de rire - le duo choc des princes ringards perclus de douleur parce que contraints à aimer des femmes insaisissables - Into the Woods se révèle, comme chacun de ses contes perdus au cœur des bois, plus profond et riche qu'il n'y paraît... pour peu que l'on y aiguise un peu son œil, et son oreille.
AshtrayGirl
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le 1 févr. 2015

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