La dialectique du maitre et de l'esclave

Tout d'abord, il faut savoir qui a réalisé ce film (non pas par étaler sa belle culture mais comprendre un peu mieux le film), à savoir Emmanuel Bourdieu (fils cadet de Pierre Bourdieu le sociologue français qui a fait tant d'émule, et pote de Denis Podalydès et scénariste à l'occasion de Arnaud Depleschin). Le jeune homme, ayant passé des études à l'école normale sup , agrégé de philosophie, et au vu de son entourage de cinéastes/dramaturges et de sa filiation, on comprend mieux le sujet même du film, le milieu social dans lequel il s'inscrit (grande/moyenne bourgeoisie, des riches en bref, des "élites" quoi) et le traitement du film, fondamentalement théâtral.

Car ce que ce film donne à voir, c'est tout d'abord un huis-clos. Et oui car huis-clos signifie bien porte fermée et pas nécessairement un seul espace de jeu. Le huis-clos est une pratique presque initiatique du cinéma du fait de la facilité de cadrage, du faible budget demandé et de la capacité de faire jouer les acteurs, ainsi que la possibilité de scénarios léché. A comprendre donc de possibilités simple mais efficaces, pas possible de s'emmêler vraiment les pinceaux dans un huis-clos.

Le milieu social est celui d'un homme d'affaires riche, à la tête d'une entreprise et à la mentalité assez butée et fermée d'esprit, il est à la base de l'intrigue car il crée la possibilité de situation initiale (le mariage pour ne pas que sa fille perde son image de bonne femme vertueuse qui a une sexualité ouverte: pour que ca lui retombe pas dessus hein). Le milieu se définit donc dès le début par la grande maison des mariés, le père richissime et les festivités du mariage (sobre au possible). Il s'agit de vite caractériser le père et la fille, qui se laisse marier par son père. Ainsi on la suppose soumise au choix patriarchal et social: si elle apparait aussi horrible et stupide, c'est effectivement par ce qu'à aucun moment elle ne se plaint réellement, et cela lui vient de son éducation, due à son milieu, où à la volonté de ne pas se faire éjecter de ce milieu.En somme, un voile d'hypocrisie et de soumission qui va mettre le thème du film en jeu.

L'intrigue est théatrâle par le renversement des rôles des personnages : la femme devient domestique, l'ouvrier maitre dans la maison.Ceux qui auront vu le film The Servant de Joseph Losey de 1963 seront servis même si ils trouveront du coup l'intrigue ici présente plus plate et avec clairvoyance.
Le thème du film n'étant au final qu'un faux renversement dans lequel Podalydès, comme absent et véritablement amoureux, devient le maitre ne s'éclaire que par la stupidité réelle et la tendance à la soumission et l'intériorisation morale du masque et la honte : logiquement, les raisons de Podalydès pour être protégé (le coup de téléphone) sont trop laches.
Ce qui du reste caractérise le film est en fait bien le huis-clos, le renversement des rôles si chers au théâtre (tant dans la farce, Molière et la commedia dell'arte) et l'analyse des rapports de forces liés à ces changements de rôles.
Le père est la menace principale de la femme que l'on fait chanter, car c'est lui qui seul à le pouvoir dans la famille. La où le mari trouve la force dans l'amour de quitter sa femme et son travail, sa femme reste imbriquée dans sa relation de dépendance à son père. Si bien que la fin n'est le dévoilement du caractère réel de la femme.
Le jeu sur les indices et informations est à ce titre non pas fin mais efficace (la femme dont le futur copain est mort, la relation entre Podalydès et cette même femme) qui seule lie les personnages et donc permet l'intrigue.

Mais cette sérendipité (le fait que les personnages de l'intrigue sont tous liés thématiquement ou bien ont des rapports secrets, ou encore qu'ils en viennent à se rencontrer) est baclée au sens où justement, le théâtral du film écrase le film.

Le mécanisme trop bien huilé de la démonstration (ce n'est rien d'autre qu'un essai sur le maitre et l'esclave dans un contexte capillotracté) nuit à la possibilité de véritablement rentrer dans le jeu.Bien que de par ma connaissance de ces schémas théâtraux, on peut me penser biaiser: au contraire ce savoir m'a fait prendre le plaisir nécessaire à rentrer dans le film, la tension à suivre la fable. Bien que cette conscience me fasse justement dire que le mécanisme se sent à vue de nez.

Le film réussit en tant que film par un autre aspect, qui par contre est bien réussi : l'usage d'un cadrage métonymique. Les cadrages sont serrés sur les personnages et laisse peu de place véritable au décor comme milieu d'action, pour en faire plus un contexte psychologique, ce grâce à une utilisation efficace de la longue focale (les objectifs qui écrase la perspective). La forme filmique convient donc bien au huis-clos.
de plus, les enjeux sont réalisés assez rapidement et la tension provient surtout de l'attente de la confrontation. Le huis-clos prend donc de l'ampleur par ces restrictions temporelles et spatiales.

Cependant le film prend une thématique pas assez développée sur la dialectique maitre/esclave (le dominant/dominé et leur affrontement), trop simpliste, ce qui pêche précisément par le manque d'identification possible avec la femme (stupide, sans amour et inexpressive) et Podalydès (plat lui aussi mais déja son amour pour une chose permet de se rapprocher de lui). Si la scène de tabassage de la bonne, les ordres donnés aux constructeurs/bâtisseurs de la maison sont bien des extériorisations de la frustration et de l'envie de la femme, le père se trouve bien doublé par Podalydès, le maître est toujours calme et raisonnable, ce qui le définit comme maître (et possiblement, comme homme: si cette piste eut été lancée, le film aurait pu prendre une certaine force. Ainsi les esclaves sont financiers ou amoureux avec respectivement les femmes et... les femmes). La possibilité de film existant ou bien esthétiquement ou bien par identification projective (un personnage, une situation, la possibilité de rire), le film qui ne possède pas une esthétique extérieure (une beauté immédiate mais bien une forme adaptée au contenu) ni une possibilité d'identification (ce milieu "distingué" est celui d'une petite minorité qui est comme extérieure au monde, ce que le film montre là cependant assez bien, en cela donc Emmanuel est bien fils de Bourdieu) n'est pas suffisamment capable d'accrocher.
Immédiatement donc, le film se tient sur l'attente de la confrontation des personnages comme climax, mais celui-ci est malheureusement court, abrupt et assez absurde. Si le rire perce par moment (la domestique, Podalydès en maître chez une femme qui souhaite contrôler mais en est incapable sans argent, l'auto-humiliation de cette même femme par ironie ici révélatrice), c'est bien cela qui sauve le film.
Il n'est donc pas si mauvais, mais ni bon et certainement pas excellent. La morale finale due à la fin est assez glauque et froide, comme monstration du milieu réel froid et dur des personnages, à caractère masculin évidemment.
Mais ma critique veut dévoiler le fond de potentiel de ce film : la critique du milieu bourgeois, économiquement vain et phallocentré, ainsi que neutre, sans passion, n'est pas la bourgeoisie heureuse et passionnelle des grands "méchants" ou bien des restes soixante-huitard plus ouverts, séduisant. Le problème de cette analyse sociologique en fond est donc un caractère légèrement anachronique contre une morale austère, qui ne définit plus totalement la bourgeoisie dont les gouts "distingués" sont en train de se démocratiser. Mais les limites que nous pose ce monde empêche véritablement la plupart de le découvrir, et donc de l'analyser, nous jugerons donc que la critique dan le film se base effectivement sur de tels personnages, qui cependant apparaissent déja mythique (et donc possiblement confusioniste). The Servant se place donc de bien des manières supérieur à Intrusions, par sa puissance réellement cinématographique et plus nuancée, et donc je le conseille en complément de ce film, qu'il majore.
Perferic
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le 11 déc. 2013

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