Invictus est un film magnifique. Il est vraiment superbe, tant dans le fond que dans la forme. Sauf que montrer le seul bon côté des choses, surtout face à cette période de l'histoire, ça n'a jamais permis de faire un bon film. C'est beau, on fait jouer la corde sensible, mais on oublie la réalité des choses. Cela mène au lissage radical des évènements narrés et l'on n'évite donc pas l'écueil de l'idéalisation facile. On tombe par conséquent dans une mièvrerie facile indigne du réalisateur d'Unforgiven et Gran Torino.


Prenons le côté de ce film traitant du rugby par exemple. La victoire de l'Afrique du Sud a été plus que litigieuse, voire ombrageuse lors de cette Coupe du Monde. On oublie assez vite les erreurs d'arbitrages très grossières et même franchement suspectes tout particulièrement en faveur des Springboks. En particulier la demi-finale (contre la France, cocorico) où cela était particulièrement net, avec un essai que l'arbitre a laissé passer à la trappe. Je précise n'avoir de rancune particulière, dans la mesure où j'étais encore dans le ventre de ma mère à cette période, mais objectivement c'est la France qui sortait vainqueur de la rencontre. J'aurai dit ça quelle que soit l'équipe. Sans compter le petit cadeau doré de Luyt à l'arbitre, qui m'a bien fait rire dans l'idée, mais qui est révélateur de l'état d'esprit dans lequel il abordait la compétition. Et c'est le directeur de la fédération sud-africaine qui a le culot ultime de faire planer le doute sur une éventuelle corruption de l'arbitre. Tout ça sans même parler des joueurs néo-zélandais dont le repas de l'avant-veille est plutôt mal passé, certains ayant même carrément dégobillé sur le terrain, en pleine finale. Ça commence à faire beaucoup de coïncidences. Surtout que la rumeur d'empoisonnement volontaire est assez crédible, voire probable. Il fallait bien ça pour arrêter Lomu. Et je n'ai pas encore parlé des mystérieuses maladies neurologiques rares qui touchent actuellement les Boks ayant participé à la compétition. Dont un qui en est mort. Surtout que là, plusieurs joueurs en question dont Pieenar ont indiqué qu'on leur donnait des pilules de "vitamines" et que des piqures leurs étaient administrées. Évidemment ils ne savaient pas exactement ce que c'était... Les victimes consentantes de l'ambition démesurée de certains ?


Dans le film tous ces aspects sont simplement éludés, sauf peut-être par la question de Mandela « Mais comment peut-on battre les All Blacks ? ». Sauf que l'hypothèse la plus plus probable est la piste d'un certaine "Suzie", sur fond de gros paris sur les Boks. Enfin c'est déjà pas mal. De même pour la scène où la manageuse de Mandela lui demande si le rugby est un simple calcul politique. On sent l'enjeu véritable de cette compétition pour Mandela, mais là encore la langue de bois règne. Sans compter que l'équipe sud-africaine en elle même n'était pas aussi nulle que telle qu'elle est présentée au début du film. C'est à cette époque une équipe solide, qui avait parfaitement sa place dans la compétition. Le destin a certes été forcé, mais on ne part pas d'aussi loin que ce que le film montre. Encore une fois on en fait des tonnes, une véritable esbroufe pour le spectateur.


Clint offre d'ailleurs à son pote Morgan un rôle taillé à son image. Au moins il joue Mandela de manière plutôt convaincante. Certainement plus que Matt Damon en François Pieenar qui peine à insuffler le souffle nécessaire à son personnage. Les reste des acteurs, bien que peu mémorables, sont relativement corrects dans leurs rôles respectifs. Enfin, sauf l'acteur jouant Lomu, qui au moins a eu le mérite de me faire bien marrer. Tout comme les scènes de rugby vraiment très brouillonnes. Sans compter que j'ai cru que mon lecteur déconnait tellement la fin du match était lente, mais en fait c'était des ralentis tout pourris. Déjà que les scènes était franchement moyennes, alors pourquoi nous infliger ça ? Le reste est propre, bien cadré, enfin Eastwood ne bâcle pas ça au moins. Il en va de même pour la musique, qui colle parfaitement à l'ambiance, et par conséquent en rajoute niveau mélo et pathos. La photographie est vraiment réussie, l'univers quand à lui aussi crédible qu'une publicité Panzani. On va dire que c'est un peu trop esthétisé, quand ça ne tire pas vers l’affreusement surfait.


L'importance de la victoire des Springboks pour l'Afrique du Sud et Mandela n'est peut-être plus à démontrer mais encore une fois le film en fait trop, beaucoup trop. Le générique de fin est tellement surfait et dégoulinant de sentimentalisme... La partie concernant les problèmes de la population Sud-africaine est tellement tronquée que l'on a l'impression qu'ils sont insignifiants. Exit toutes les tensions inter-ethniques, seul le fossé entre blancs et noirs est traité. Les tribus xhosa et zoulou sont à peine évoqués et vraiment très succinctement (j'ai juste appris que les xhosas étaient polygames alors que les zulus non). Sans parler des tensions entre Afrikaners du nord et du sud, Afrikaners et anglophones... De plus la façon dont Mandela est dépeint est souvent complètement abusée. Il sonne faux tellement il semble gentil et sympathique. Sans compter que l'on rajoute du pathos sur sa séparation avec Winnie la reine du pneu et ses difficiles relations avec sa fille. C'était loin d’être nécessaire. Heureusement qu'il est montré comme un brin calculateur et que la scène de fin sauve le reste y compris sur ce plan là. Son air de "tout a marché pile-poil comme je l'avais prévu" est juste, rapporté à la teneur générale du film, génialement ironique. Il en va de même pour les piques dont j'ai parlé plus haut. Le passage à Robben Island est aussi une grosse arnaque, le flashback sonne tellement propret, alors que les conditions de détention du véritable Nelson était bien plus affreuses encore. Il y a de l’édulcoration, c'est le moins que l'on puisse dire.


On a pour ainsi dire un chef d’œuvre de consensualité signé, à ma grande déception, Clint Eastwood. Comment, après les films auquel il nous a habitué, après ces bons voire très bons films, peut-il faire ça ? Et tout en étant parfaitement conscient de ce qu'il fait en plus le bougre ! Seules quelques subtiles piques disséminées ci et là nous le montrent bien. A moins que ce ne soit complètement involontaire et que Clint Eastwood soit un crétin fini, ce qui me semblerait fort étonnant. Mais non, on fait ressortir de manière outrancière le côté lisse des choses, les seules que l'histoire, cette grande amnésique, retiendra. Après je veux bien n'être qu'un aigri, mais il y a des limites tout de même... Surtout que malgré tout ce que j'ai dit je suis loin d'être réfractaire au côté positif de ce film, mais lorsque l'on essaye de me faire prendre des vessies pour des lanternes je suis tout de suite moins coopératif.


Quand aux scènes censées représenter du rugby, je n'en parlerai même pas sous peine de faire remonter mon petit-déjeuner, mon brunch, mon déjeuner, mon goûter, l'apéro, mon souper, mon diner et mon cinquième. Putain.

Brad-Pitre

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