Du drame familial à la tragédie épique

Michael Cacoyannis film ce qui aurait pu être un péplum dans une Grèce nue, minérale. Il délaisse tout décor clinquant et costumes colorés et théâtraux. Il semble retrouver la nudité païenne de la tragédie grecque. Tourné dans des paysages arides, balayés par le vent, le film se tient loin des ors de la reconstitution où la fatalité semble inscrite dans la terre et dans la mer.


Nous sommes plus dans le Péplum mais bien dans un drame social et familial. Comment ne pas songer à Pasolini avec son "Œdipe roi" ou "Médée", dans cette manière de filmer l’archaïque sans fard, comme une réalité toujours vivante, proche de l'homme. Il en est de même des cadrages. Les portraits n'embellissent pas les visages, ils accentuent leurs fatigues, leurs rides. Les personnages sont tourmentés. Les plans larges viennent souligner la terre rugueuse des sols. Les personnages sont tout aussi perdus dans cette immensité désertique, à l'abandon.


Au cœur du drame social, un chef peut-il tout sacrifier pour son pays, son peuple, son armée y compris sacrifier sa famille pour l'amour de sa patrie, se noue un drame plus humain encore, un drame plus intimiste. Le drame familial.


Deux figures féminines dominent l’écran. Irène Papas, bouleversante Clytemnestre, irradie de sa présence. Jamais le cinéma n’avait donné à ce personnage une telle grandeur et tragédie : loin de l’image convenue d’une épouse cruelle et meurtrière, elle incarne une mère acculée, une femme dont la douleur et la colère tissent déjà la trame de son futur geste matricide, depuis son mariage et la manière dont elle a été forcée d'épouser et de se complaire en épouse fidèle. À ses côtés, Tatiana Papamoschou prête à Iphigénie une innocence sacrifiée, une clarté bientôt consumée par le destin.


Cacoyannis ose aussi l’ambiguïté du sacrifice et c'est ce qui tend le film à se surpasser. La jeune fille est-elle sacrifiée ? Est-elle sauvée par Artémis ou ses adorateurs à la dernière minute, telle Dieu lorsqu'il sauve le fils d'Abraham, comme le veulent certaines versions du mythe.


Le final, d’une puissance saisissante, condense toute l’horreur du sacrifice. Par un montage alterné, l’armée s’active, indifférente, prête à prendre la mer, tandis qu’Agamemnon s’effondre, contraint de livrer sa fille, le casque sur le visage comme pour se voiler la face, ne penser qu'à la guerre et se laisser hanter par son acte lorsque tout sera terminé. Dans le regard ultime de Clytemnestre, accablée et déjà ombrée de noirceur, se devine l’avenir : celui d’une vengeance, d’un crime qui répondra à un crime.


Avec Iphigénie, Cacoyannis signe une tragédie sans ornement, âpre, suintante, où l’essentiel n’est pas tant l’histoire racontée que l’expérience du destin qui s’accomplit sous nos yeux. La tragédie épique devient un vrai drame familial, une histoire universelle et intemporelle.

Terry934
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le 5 oct. 2025

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