J’étais un peu resté sur ma faim l’an passé après la supposée « claque » annuelle de Gérardmer, à savoir Mister Babadook, film intéressant sur le fond en creusant un peu mais à la forme un peu trop limitée. Il lui manquait un petit quelque chose. J’avais été encore moins convaincu l’année précédente avec le Grand Prix Mama, ce qui m’incite à une certaine méfiance désormais lorsqu’il s’agit de nous présenter la nouvelle pépite fantastique-horreur.

Cette année, c’est donc au tour de It Follows, du quasi inconnu David Robert Mitchell, de faire le buzz depuis plusieurs mois. Annoncé innovant, à la fois stressant et beau, il est précédé d’une telle réputation que c’est souvent le genre de film duquel on ne peut ressortir qu’un peu désappointé.
Mais cette fois il n’en est rien. J’ai aimé de bout en bout ! Happé dès les toutes premières secondes avec ce très beau plan séquence jusqu’à sa scène finale qui exprime plein de choses à la fois, It Follows m’a fait ressentir ce qu’aucun film d’épouvante n’a su faire depuis bien longtemps.

La véritable peur provient souvent de l’inconnu et ça, David Robert Mitchell l’a parfaitement compris. Ici, il n’est ni question d’une banale histoire de fantôme, de présence ouvertement démoniaque, de simple possession ou d’un serial killer comme le cinéma de genre nous en a fourni des pelletées depuis qu’il existe. La menace est ici bien plus complexe à comprendre, provenant autant de l’extérieur que des protagonistes eux-mêmes. Tout ce que l’on en sait vraiment, c’est qu’elle a beau progresser lentement, sa venue est inexorable et sa présence constante. Où que l’on aille, elle prendra le temps qu’il lui faudra mais finira par se montrer.
Si, en soi, ce danger reste prégnant tout au long du film, la réalisation très maline sait idéalement le renforcer. Elle commence par s’épurer de la plupart des effets vus habituellement dans l’épouvante. Dans cette banlieue de Detroit très « halloweenienne », la nuit n’est pas plus inquiétante que le jour, le gore se fait quasi inexistant et le mal n’a pas besoin de se cacher au détour d’un couloir ni de hurler pour angoisser et provoquer les sursauts (nombreux autour de moi dans la salle). Bien au contraire même, on le voit la plupart du temps arriver de loin. Le film déborde d’ailleurs de ces plans où l’on retrouve Jay et ses proches au centre de l’image, entouré de vastes étendues naturelles où l’on peut voir clair à plusieurs dizaines de mètres. Je me suis d’ailleurs à de multiples reprises surpris à fixer le moindre recoin de l’écran à la recherche de cette personne aux pas lents mais toujours assurés qui pourrait sortir des feuillages ou n’importe quelle porte.
Pour mieux nous tromper, Mitchell s’amuse à placer ses rares jump scares lorsque la menace semble, et parfois est, en réalité absente et le film supposément plus posé. Mais ils ne sont pour autant jamais gadget, plutôt prétexte à nous faire ressentir la peur profonde qui emplit la protagoniste principale. Aucun répit ne nous est donc offert et j’ai peine à me souvenir du dernier long métrage apte à tenir en haleine avec une telle régularité.

Au-delà de l’aspect purement horrifique, ceux plus esthétiques ne sont jamais négligés. La caméra, tantôt fixe, tantôt tournoyante mais toujours en douceur et lenteur, offre moult plans magnifiques, le tout dans des environs de Detroit toujours aussi beau et impressionnant à filmer. La photo est également d’un niveau rarement atteint dans le genre.

Autre contre-pied pris par le metteur en scène : sa gestion du groupe d’adolescents. Ici, il n’est jamais question de se séparer mais au contraire d’entraide voire de sacrifice. Le groupe n’est pas géré de manière classique et les caractères de chacun bien plus proches du cinéma d’auteur américain que d’un énième horror teen movie. Tous ne sont pas explorés de façon égale, mais à leur manière montrent chacun intelligemment différents pans et moments de l’adolescence, l’un des deux thèmes forts du film. Maika Monroe, déjà vue dans The Bling Ring et que j’avais surtout remarqué récemment dans le « direct to video » The Guest, irradie l’écran et sa carrière devrait connaître après ce film un joli bond même si elle était déjà prometteuse. Keir Gilchrist est également très touchant dans son rôle d’ami quasi ouvertement amoureux et prêt à tout pour aider Jay.
Si la métaphore avec les MST et sûrement plus précisément le SIDA est évidente tout du long, c’est surtout ce travail sur les difficultés psychologiques liées à cette période charnière et des premiers émois sexuels qui frappe le plus. Un sujet déjà souvent exploré dans le genre horrifique, mais jamais de cette façon à ma connaissance. Les rapports souvent conflictuels avec les figures parentales, d’ailleurs très absentes ici, sont aussi judicieusement évoqués. Et il n’est clairement pas question de prôner l’abstinence comme j’ai pu le lire. Tout au plus de faire attention à ses choix de relations, mais la dernière partie du film, sans trop spoiler, est quand même assez explicite sur l’idée que rien ne doit empêcher les adolescents d’en profiter s’il le veulent.

Un mot enfin pour la formidable bande originale qui est pour beaucoup dans la tension qui règne durant 1h40. Certains thèmes rappellent inévitablement Carpenter. Mais comme pour toutes les autres références, et elles sont assez nombreuses, elles sont parfaitement digérées, intégrées et n’empêchent jamais le film d’être original et d’apporter un oeil nouveau au cinéma d’épouvante-horreur.

Cela faisait très longtemps que je n’étais plus resté scotché à mon siège de la sorte dans une salle de cinéma. Probablement depuis REC et The Descent, mais dans des styles et propos très éloignés de ce que j’ai vu aujourd’hui. It Follows fera sûrement date dans le cinéma de genre. Et j’ai hâte de voir de quoi l’avenir sera fait, autant pour David Robert Mitchell que Maika Monroe. Et aussi comment ce certain renouveau sera réutilisé dans les années à venir. Parce qu’on sait bien comment ça fonctionne dans le genre. Dès que quelqu’un trouve une nouvelle recette, et les bonnes sont de plus en plus rares, nombreux sont ceux qui veulent s’en emparer.
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le 8 févr. 2015

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