Un peu comme The Strangers voilà peu, I saw the Devil surprend mais laisse un goût d’inachevé : ici, l’ultime séquence suspendue aux sanglots de Soo-hyun se veut symptomatique d’un récit ayant manqué de retenue dans son ensemble, le spectateur ne goûtant pour de bon à l’humanité du vengeur qu’au terme de ses pérégrinations. Non pas qu’il faille entrevoir cette notion d’humanité uniquement sous un prisme bienveillant, le long-métrage prenant à cœur de nous relater ses plus tortueuses et sombres facettes plus de deux heures durant, mais force est de constater qu’il lui manque un petit quelque chose pour s’attacher notre plein et entier investissement.


Car à l’orée d’une quête destructrice et jusqu’au-boutiste, I saw the Devil échoue à faire de Soo-hyun une figure vraiment empathique : passe encore le survol d’une famille anéantie, mais la manière dont l’intrigue fait de son protagoniste un justicier sans aucune limite est des plus abruptes. L’effet rejoint quelques ficelles de bon ton, telle la présentation bien commode de quatre suspects potentiels et une bascule décidément soudaine de Soo-hyun, habité d’une froide rage contrebalancée par un self-control professionnel : et s’il faut alors convenir de l’imprévisibilité indéniable du tout, il n’en reste pas moins que le film a tôt fait de confiner au paradoxe.


Nullement préparé à cette véritable foire aux monstres, l’on est en ce sens pris au piège de la mise en scène sans concession de Kim Jee-woon, ainsi que de la descente aux enfers que tisse savamment Park Hoon-jeong au scénario : sur ce point, la vraisemblance d’un tel crescendo horrifique, si ce n’est carrément nihiliste (l’épisode du taxi est des plus parlants) dénote, et rejoint un ensemble criblé de petites incohérences ci et là. Nous avons déjà pu évoquer le cas des suspects accommodants, ressort qui interroge d’autant plus que la profession de Kyung-chul (conducteur d’une navette scolaire) paraît sacrément contradictoire en l’état : I saw the Devil parvient malgré tout à (souvent) retomber sur ses pieds, la folie et l’inconstance de ce dernier tranchant avec le profil du psychopathe infaillible comme en attestera l’enquête conduite par Soo-hyun.


Alors que Kyung-chul fera de cocasses adieux à la fameuse navette, la première rencontre entre les deux hommes semble finalement rapide, marque d’un récit privilégiant les exactions brutales de son antagoniste avec en filigrane une traque décidément aisée. Bien que l’on puisse un peu tiquer, c’est bien là que le long-métrage nous prendra enfin de court en allant bien plus loin que le sempiternel modèle du chasseur devenu chassé : endossant le rôle de tortionnaire patient pour l’occasion, Soo-hyun foule à juste titre nos repères et atteste des prétentions anti-manichéennes de I Saw the Devil, bien décidé à brouiller les limites de notre assentiment.


Néanmoins, si l’exécution s’attache un semblant de surprise, le cheminement narratif s’ensuivant est quelque peu téléphoné au regard de pivots attendus : Soo-hyun tirant sur la corde jusqu’à que la situation lui échappe logiquement, aboutissant à un retour de flamme meurtrier. Alors que la séquence du « manoir cannibale » s’était avérée rondement menée, le dernier arc du long-métrage verse donc dans une échappée belle rocambolesque nous laissant dubitatifs, la faute au devenir confus de Se-yun, victime d’une temporalité exacerbant artificiellement le suspense, puis enfin l’extraction démente de Kyung-chul : c’est d’autant plus regrettable que le dénouement s’ensuivant n’est en aucun point décevant, l’ironie de son exécution redistribuant une dernière fois les cartes entre ces diables de joueurs... sans pour autant qu’un vainqueur ne se dessine pour de bon.


I saw the Devil aurait donc pu prétendre à bien plus, si tant est qu’il développe davantage les motivations de ses personnages, réduits à l’illustration d’une humanité avilie sans espoir. Reste un bel écrin visuel quoique guère formaliste, Kim Jee-woon privilégiant l’efficacité à l’esthétisme : le procédé s’accorde toutefois à merveille aux ambitions dérangeantes du tout, cette signature viscérale contribuant à l’instauration d’un climat malsain latent... quoique too much par bien des aspects.

NiERONiMO
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le 22 avr. 2019

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