Cette adaptation de "J'irai cracher sur vos tombes" mérite d'être redécouverte, au-delà du cliché facile de l’œuvre maudite : rappelons que Boris Vian mourut durant la projection du film, contre lequel il avait des a priori négatifs et qu'il ne vint donc jamais en entier. Ce film, même s'il s'éloigne en partie du roman originel et n'est pas exempt de défauts, est au final une œuvre sombre et percutante, plutôt réussie dans son genre. Avec la ville de Trenton, Gast dépeint une nouvelle Babylone où règnent la débauche et la loi du plus fort. L'esclavage a beau ne plus exister officiellement, les rapports de domination sont à tous les niveaux de cette société répugnante. Et la violence, physique ou psychologique, est très pratiquée ! Rares sont les personnages à échapper au mépris du spectateur. On retrouve aussi tout au long du film le motif de la strangulation, à l'image d'une société où l'on ne peut pas respirer.


Le film comporte ainsi bien des atouts. Face à Christian Marquand, dans le rôle du ténébreux Joe Grant, on retrouve Fernand Ledoux, vieillard délicat maltraité par la bande de Walker, et dans le rôle de celui-ci, Paul Guers, campant une ordure de premier ordre, qu'on espère bien voir se faire dessouder ! Le film est aussi un témoignage sur son époque, avec des aspects qui, s'ils paraissent datés aujourd'hui, étaient inhabituels en 1959 : l'exploitation du phénomène des « blousons noirs », la reconstitution d'une Amérique fantasmée et crédible à la fois, ou la scène de baignade où apparaissent très nettement et longuement les seins de l'actrice (scène qui fut tournée dans une eau glaciale!). On retrouve aussi le goût de Vian pour le jazz, à travers la musique d'Alain Goraguer, que Vian avait souhaité voir assurer la bande originale.
"J'irai cracher sur vos tombes" accomplit sa mission d'être un film noir qui cogne un bon coup, avec pas mal d'idées, fidèle à l'esprit du roman de Vian, désespéré et violent jusqu'à un final différent : comme les héros de "J'ai le droit de vivre", ceux de "J'irai cracher sur vos tombes" périssent abattus par la police lors de leur fuite, tandis que Vian-Sullivan concluait son livre par la pendaison de Joe, en un chapitre tenant en quelques lignes.
Drustan
6
Écrit par

Créée

le 28 avr. 2021

Critique lue 421 fois

Drustan

Écrit par

Critique lue 421 fois

D'autres avis sur J'irai cracher sur vos tombes

J'irai cracher sur vos tombes
Sandman
1

Critique de J'irai cracher sur vos tombes par Sandman

Un film affligeant. Une intro sympathique avec l'armonica, mais bien trop longue. Un thème musicale qui revient sans cesse pour nous casser les pieds. Une histoire qui part n'importe où. Un héros...

le 21 nov. 2010

3 j'aime

14

J'irai cracher sur vos tombes
GuiKD
4

…et sur la cohérence

Adaptation du livre du même nom de Boris Vian Alors autant la musique Jazz est sympa autant l’histoire semble complètement coupée au hachoir. L’enchainement des scènes semble être au petit bonheur la...

le 1 sept. 2019

1 j'aime

J'irai cracher sur vos tombes
Drustan
6

Quel monde pourri !

Cette adaptation de "J'irai cracher sur vos tombes" mérite d'être redécouverte, au-delà du cliché facile de l’œuvre maudite : rappelons que Boris Vian mourut durant la projection du film, contre...

le 28 avr. 2021

Du même critique

Chasseur blanc, cœur noir
Drustan
5

Caprice meurtrier

"Chasseur blanc, cœur noir" s'inspire des préliminaires du tournage d' « African Queen » de John Huston et s'achève ironiquement lorsque John Wilson (Clint Eastwood), le réalisateur,...

le 6 sept. 2021

3 j'aime

2

La Corruption
Drustan
8

Mon père, ce salaud

"La Corruption" est une satire cinglante et impitoyable de l'Italie de la prospérité retrouvée, où Bolognini fait voler en éclats la figure du “pater familias”, ici un despote sans scrupules...

le 8 mai 2021

3 j'aime

L'Or de MacKenna
Drustan
8

Poussière d'or

Succès du western italien oblige, l'heure n'était plus en 1968 aux westerns idéalistes, mais à un ton plus désabusé. Gregory Peck a donc la charge d'assurer la transition avec le western classique:...

le 31 janv. 2024

2 j'aime