Prenez un classique des contes de fées, inversez les stéréotypes, et tant qu’à fire, posez l’intrigue dans une dictature digne de la Corée du Nord avec une dynastie de dirigeants. Ainsi Riad Sattouf adapte à sa sauce le conte de Cendrillon. Cela donne : Jacky au royaume des filles.
Il était une fois...
...Dans la République Populaire et Démocratique de Bubunne, dirigé par la Générale Bubunne XVI, un garçon prénommé Jacky. Il était beau et gentil, dévoué à sa maman. Toutes les filles du villages voulaient l’épouser. Mais comme tout jeune célibataire du royaume, il rêvait d’épouser la fille de la Générale, la Colonelle, future Bubunne XVII.
L’occasion se présentera quand, suite à une révélation que lui ont fait les chevalins sacrés, la Générale annonce l’organisation d’une grande bubunnerie, un bal, où la Colonelle choisira son Grand Couillon, celui qui lui donnera de belles filles.
Je vous avais prévenu, c’est Cendrillon dans une société matriarcale et dictatoriale.
On y retrouve donc :
Bienvenue Dans la République Populaire et Démocratique de Bubunne
Riad Sattouf a soigné tous les détails de sa dictature d’opérette : religion, nourriture,
décors, costumes, langage, coutumes. Tout est cohérent.
- Le peuple vénère les Chevalins (chevaux, poneys…).
- Il se nourrit de la Bouillie, distribuée aux robinets.
- Les villages sont gris et moches. Tout le pays est gris et moche, les
villes, le palais de la Générale... Il n’y a pas de végétation ; de
toute façon il n’y a pas d’agriculture, puisqu’on mange la Bouillie.
Les plantins (les plantes) sont interdits de consommation. On se
demande où le film a été tourné : Décor naturel ? Images de synthèse
? Tout est tellement moche et misérable. Le palais est prétentieux,
écrasant. Riad Sattouf a trouvé ses décors en Géorgie. Et on a du mal
à imaginer de tels endroits ont été construits durant l’ère
soviétique. C’est juste ignoble.
- Les femmes portent des uniformes façon chinois pendant la Révolution
Culturelle. Les cheveux sont coiffés en queue de chevalin. Les
dirigeantes sont en uniformes militaires débordants de médailles et
de galons.
- Les hommes sont voilés, ils portent une voilerie, équipée d'un anneau où un laisson ( une laisse) peut être attaché. Ils sont soumis aux femmes, ils marchent derrière elles. Les voileries nient les corps masculins, les épaules sont estompées, les mollets restent visibles. leur silhouette est grotesque. La polyandrie est commune, une femme peut avoir plusieurs maris.
- Comme vous l’avez compris les vocabulaire est émaillé de termes
transformés par des terminaisons rajoutées : cheval devient Chevalin,
le grand bal est une Bubunnerie, un voile s’appelle voilerie, la
police devient Policerie...
- Le culte de la personnalité est total, les effigies de la Générale et
de la Colonelle sont présentes partout. Les télés sont installées
dans les rues. Anémone campe une Générale mémorable, cruelle,
impitoyable, mais en pleine décrépitude physique.
Une comédie grinçante
Diviser pour mieux régner : ainsi la hommes ayant pour seul rêve d’épouser la femme idéale s’entredéchirent avec des mesquineries, aveugles à leur situation injuste. Le peuple entier gavé par la propagande se nourrit de ces merdes idéologique et alimentaire. La Bouillie distribuée a l’air vraiment dégueulasse, mais tout le monde trouve ça normal. La gueuserie se contente de s’émerveiller devant la puissance et la bonté imaginaire de la Générale.
Comme de nombreuses sociétés très traditionnelles où les rôles hommes-femmes sont très déséquilibrés, la frustration sexuelle est palpable. La moindre surface de peau trop visible chez les hommes sera source de fantasme. Les faibles sont à la merci des manipulateurs et profiteurs ayant du pouvoir : pouvoir d’accorder un passe-droit, de fournir un service, ou tout simplement de posséder l’autorité.
Les hommes sont victimes de violences de la part des femmes. On assiste à deux scènes de violence sexuelle grotesques mais bien dérangeantes. L’inversion des rôles hommes-femmes est le moteur principal de cette comédie. Toutes les discriminations subies deviennent flagrantes, choquantes. Riad Sattouf a atteint son but, nous faire rire et réfléchir. L’oppression par les femmes ne semble pourtant pas assez appuyée je trouve.
C’est donc une comédie totalement atypique et plus fine qu’il n’y paraît. Loin, très loin des comédies françaises. Le point de départ du film c'est la BD Pascal Brutal, le personnage hyper viril créé par Riad Sattouf. Dans une de ses histoires, il se retrouve dans un pays où les hommes sont voilés. L’auteur souhaitait prolonger cette idée. Ainsi est né ce film improbable avec un casting encore plus improbable ( mention spéciale à Charlotte Gainsbourg en Colonelle). On retrouve quelques têtes vues Dans Les beaux Gosses : (Vincent Lacoste, Anthony Sonigo). Comme Noémie Lvovsky, on les retrouve dans Camille redouble, film où Riad joue un petit rôle de metteur en scène.
Pour en savoir plus, voici une interview de Riad Sattouf dans l'Avant-Scène cinéma, et là une autre en vidéo pour MadmoiZelle.com, toutes deux réalisées l'année de sortie du film.
Le père de Riad Sattouf voulait faire de son fils un Arabe du futur, un homme éclairé. C’est plutôt réussi. Riad Sattouf essaie de nous faire partager sa vision du monde où l’égalité et la liberté sont indispensables au bonheur. Vision naïve certes, mais il ne faut pas oublier qu’il a passé son enfance en Libye et en Syrie, dictatures bien mornes et oppressantes, pas si éloignées de la République de Bubunne...