Je ne regrette rien de ma jeunesse est considéré comme le premier chef d'œuvre de Kurosawa. Pourtant, qu'il est difficile de comprendre face à la mise en scène brouillonne voire éclatée, si l'on ne connaît pas l'histoire du Japon : l'incident de l'université de Tokyo, en 1932 et la résistance au régime militaire. Adaptant les faits de 1931 à 1945, la narration à ellipses, les passages explicatifs occultés, notamment sur l'engagement en Chine ou le contexte de l'espionnage et de ses enjeux, font que l'ensemble est passablement frustrant, opaque et laborieux.
Comme pour son film précédent Les hommes qui marchèrent sur la queue du tigre, les débuts du cinéaste sont maladroits, les dialogues didactiques au détriment de ses grands discours inspirés, de situations cocasses ou des excès jubilatoires de certains.
Je ne regrette rien de ma jeunesse a du être réécrit plusieurs fois suite à des conflits avec le studio et à la situation délicate du sortir de la guerre. Kurosawa le dira lui même, cette période compliquée et les compromissions auront bridé ses velléités dénonciatrices.


Teinté pourtant d'une grande nostalgie, Kurosawa lutte contre l'oubli. Le cinéaste nous perds par une introduction à l'environnement bucolique et ensoleillé où rien ne semble venir troubler les déjeuners sur l'herbe et les chassés-croisés amoureux, pour diriger son histoire sur la fin de l'innocence, les morts à venir, le travail de mémoire et l'importance du choix pour une jeune femme trop tôt propulsée dans la dure réalité de la guerre. Aucune scène ne sera montrée du conflit, si ce n'est les conséquences sur le peuple, et si combat il y a, ce sera celui contre l'obscurantisme, de ces étudiants en lutte contre le pouvoir dictatorial, entre ceux qui lutteront et ceux qui préféreront s'adapter. Noge l'idéaliste (l'excellent et délicat Susumu Fujita), et Itokawa (Akitake Kōno) bien plus prudent, mais soutien indéfectible et Yukie (Setsuko Hara) partagée entre son insouciance et son aveuglement. Plus dramatiquement encore, la démission forcée du professeur d'université (Denjirō Ōkōchi) démit de ses fonctions pour sa prétendue sympathie avec les communistes, mettant à mal la nécessaire éducation.


Les thèmes chers à Kurosawa font leur entrée, avec un portrait sans concession du milieu rural et de la condition ouvrière, ou par la défense des opprimés avec ce professeur qui donnera de conseils juridiques gratuits, - on pense aux soins dispensés par Dr Kyojō Niide (Toshiro Mifune), du film Barberousse, - en passant par la haine ordinaire et la manipulation de masse.


Setsuko Hara, a ses débuts, fait déjà preuve d'une palette d'expressions qui permettent de suivre son cheminement sans que les dialogues viennent parasiter son jeu, et on pourrait presque se croire dans un film de M.Naruse. Une chronique sociale et familiale assez étonnante pour Kurosawa et ses grandes envolées guerrières.
Yukie par son émancipation trouvera le chemin de l'engagement, aura troqué sa vie urbaine pour le dur labeur de la culture du riz, rejoignant ses beaux parents, comme la tradition l'exige, mais trouvant là toute la force à sa survie. Les corps fatigués et l'épuisement sont magnifiés par la caméra de Kurosawa, les plans serrés sur l'actrice, et ses changements physiques, l'environnement désolé et la misère ambiante, en font les plus belles scènes du film, où enfin la puissance évocatrice et l'émotion, transportent.


En se faisant à son tour, la voix de l'éducation pour les villageois, Yukie vient rejoindre le combat collectif de la jeunesse japonaise, sans quoi aucune reconstruction n'est possible. La rébellion face aux discours faussés, son abnégation sans faille et le profond contentement de n'avoir rien à regretter de sa jeunesse, Yukie laissera derrière elle toute son amertume
Ce ton tout autant désespéré qu'optimiste qui traverse sans cesse le récit, vaudra certainement le coup d'œil pour tous les amateurs du cinéaste.

limma
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le 27 oct. 2019

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