L'homme sans excuses ni qualités : un véritable anti-héros

Trajectoire pathétique d'un irrécupérable. Pour une fois nous sommes confrontés à un véritable anti-héros, soit quelqu'un auquel personne ne voudrait s'assimiler, bien qu'il ressemble au commun des mortels. La manie de cet Eddy de prendre toujours les pires tangentes (ne serait-ce que pour les décisions infimes, comme fermer cette fenêtre pendant qu'il dort afin de ne pas être harcelé au réveil par l'extérieur – mais il ne sait que se laisser conditionner) lui permet d'avoir en toutes circonstances un peu du pire de tous les hommes, en particulier lorsqu'il s'agit d'illustrer l'envie et l’imbécillité.


Mais il couvre au-delà tant il est dysfonctionnel et ingrat ; c'est à la fois la bêtise, l'orgueil et une mauvaise construction (probablement de mauvaises sources) qui en font son pire ennemi de chaque instant. La scène du carreau cassé est parfaite : Eddy ne voit que cette femme sous ses yeux sans comprendre ou accepter son refus, il ne perçoit rien de l'environnement ; elle entend ce qui se produit hors-champ et veut le garder à ses côtés pour se protéger – il n'en saisit rien et face à l'embrouille énorme, il foncera. On pourrait dire comme un taureau ou pour se sentir imposant, on peut se demander aussi s'il ne voit pas là une nouvelle occasion de sabotage irrésistible. Le malheur c'est qu'Eddy n'est pas seulement un homme blessé, c'est aussi un minable sans attrait ; il n'a que la médiocrité à porter s'il s'arrache à ses caniveaux. La grâce d'un bouffon obstiné comme Poelvoorde en a tant joués plane à mille lieux au-dessus de son état terne et tragique (avant d'être triste).


Bien sûr à terme c'est une ordure mais sa condition est un cauchemar pire qu'une autre déchéance sans fin, car il ne consume pas son talent, il ne rate pas sa chance, il n'a même pas d'adversité sérieuse pour le rendre excusable (c'est lui qui en est une pour sa victime) ; ce n'est pas un perdu qui aurait mieux à faire ou être, ni un perdant menant un juste combat pour sa (sur)vie ; il est simplement nul et enclin à tous les vices les plus idiots et les fautes les plus minables. C'est pourquoi (à moins d'être intensément narcissique) il semble difficile de le haïr ou d'éprouver de vives émotions à son égard ; le spectateur éprouvera fascination, consternation, dégoût devant un tel non-sens ; les plus tendres ou humanistes auront l'occasion de mettre à l'épreuve leurs belles dispositions.


Écriture 8, Formelle 7, Intensité 7 ; Pertinence 8, Style 7, Sympathie 7.


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Zogarok

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