Après l'excellent Pupille (2018), Jeanne Herry est repartie de zéro en faisant des recherches sur le cerveau (notamment sur la réparation), puis sur la justice via un film de procès. Suite à la vision de La fille au bracelet (Stéphane Demoustier, 2019), elle a préféré aller vers une autre optique, complétée par l'écoute d'un podcast. Le sujet était la justice restaurative, consistant à faire rencontrer des détenus et des victimes (mais pas liés à la même affaire) dans des réunions surveillées par des encadrants. La réalisatrice aurait pu en tirer un documentaire, mais elle a préféré miser sur la fiction, lui permettant d'aller plus loin dans la création, mais aussi dans la mise en scène.


Herry attaque dès les premières minutes avec la formation des encadrants. Le principe est de mettre à la place des victimes, mais aussi les comprendre et ne pas être trop dans l'affectif. Il faut trouver un juste milieu et comme le suggère Denis Podalydès en début de film, cela demande du travail. Une formation que la réalisatrice a elle-même suivie afin de mieux comprendre le processus.


Herry a également préféré miser sur des discours plutôt que sur des flashbacks montrant les agressions. Il n'y a que le cas plus explicite d'Adèle Exarchopoulos montrant des flashs. Mais l'insoutenable n'est jamais montrée. Ce qui est raconté est suffisant pour déranger et le spectateur peut facilement s'imaginer le drame, à l'image du film The Guilty (Gustav Möller, 2018) qui misait sur ce qu'entendait le policier au téléphone. Un procédé que la réalisatrice avait pu voir dans la série En thérapie (2021-22) et qu'elle a perpétué ici.


Ce qui amène son lot de confrontations cocasses. Le personnage de Dali Benssalah va ainsi longuement évoquer un de ses braquages, parlant d'un flingue chargé mis sur la tempe d'un enfant pour pouvoir faire peur à ses parents et amener à ce qu'ils sortent l'argent. En revanche, il va avoir énormément de compassion pour Miou Miou lorsqu'elle parle de son agression, disant qu'il n'aurait pas permis que quelqu'un touche à sa mère dans des conditions similaires. Sa réaction montre qu'il n'est pas dénué d'humanité, mais aussi qu'il ne se rend pas compte du drame qu'il a causé et du traumatisme qui en a découlé. Néanmoins, les rencontres vont l'amener à changer de réflexion, mais aussi à aider les gens en face de lui. Ce qu'il dit à Leila Bekhti va aider cette dernière à aller mieux.


On voit aussi le changement de mentalité au fil des rencontres avec des personnages n'ayant plus rien à voir avec ce qu'ils étaient lors de la première réunion. Les détenus vont être confrontés à leurs erreurs et les victimes vont réussir à dépasser leurs a priori. Il en est de même pour le cas Exarchopoulos traité à part, mais tout aussi important.


La promotion s'est bien gardée de ne pas évoquer ce pourquoi elle était là et tant mieux au vue du choc. Une personne traumatisée par des faits survenus durant son enfance et qui voit un élément perturbateur revenir dans le coin du jour au lendemain. Elle va alors suivre la médiation avec des demandes venant d'elle, mais aussi de lui (dont le visage ne sera pas montré avant la fin). La confrontation sera froide, mais permettra à chacun de constater des choses, quitte à ce que cela fasse mal. On voit également les réactions de proches, certains étant en empathie (le compagnon), d'autres parlant d'affaires qui auraient dû se régler en privé et non au tribunal (la grand-mère).


Les monologues et dialogues des différents personnages ne sont pas improvisés et pourtant, ils paraissent totalement naturels dans la bouche des acteurs. Le montage fait aussi beaucoup et le bâton servant à prendre la parole est vite dégagé, entraînant des échanges plus directs. Le casting s'avère assez irréprochable, certains allant même dans des directions inattendues (Fred Testot confirme qu'il devrait aller un peu plus vers des rôles dramatiques).


Je verrai toujours vos visages est un film plein d'humanité, évoquant de manière intéressante un sujet encore peu évoqué. Doublé d'un beau succès en salles avec 952 516 entrées. Pas mal pour un film reposant sur pas mal de dialogues.



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le 6 mai 2023

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